Le "nouveau front populaire", voici le nom de la bannière sous laquelle la gauche compte mener la bataille des élections législatives. Face à la victoire du Rassemblement national aux élections européennes, Emmanuel Macron a créé la surprise en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale, et de facto, des législatives anticipées. Pour combattre le parti de Jordan Bardella, et l'empêcher d'obtenir la majorité au sein de la chambre basse du Parlement, le Parti socialiste, le Parti communiste, les Écologistes et La France insoumise ont donc mis en commun leur force. Et le nom de front populaire ne doit rien au hasard, bien au contraire. Europe 1 fait le point sur le Front Populaire de 1936.
Qu’est-ce que le Front Populaire ?
Le Front Populaire des années 30 est une coalition politique, un rassemblement de partis de gauche destiné à obtenir une majorité législative lors des élections de 1936. Au moment de sa création, le Front Populaire rassemble la Section Française de l’Internationale ouvrière (SFIO), le Parti radical, le Parti communiste, l’Union socialiste républicaine et le Parti d’unité prolétarienne.
Au moment des élections législatives de 1936, le pari du Front Populaire est gagnant : les partis de gauche remportent la majorité à l’Assemblée nationale, soit 386 sièges sur 608 au total. Entre 1936 et 1938, quatre gouvernements issus du Front Populaire vont se succéder, avec à leur tête, Léon Blum d’abord, puis Camille Chautemps pour les deux suivants, qui laissera sa place à Blum une nouvelle fois, pour un gouvernement qui ne durera que 28 jours.
L’arrivée du Front Populaire à la présidence du Conseil des ministres permet d’instaurer des réformes sociales importantes. Parmi elles, la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine et l’instauration d’un congé payé de deux semaines pour les travailleurs.
Mais le nouveau Front Populaire proposé par une majorité de partis de gauche pour les élections législatives de 2024 peut-il être comparé au Front Populaire de 1936 ? Pas vraiment. On retrouve quelques similitudes sur les plans économique, politique et social mais le contexte général était différent.
Quelle est la situation de la France avant 1936 ?
Pour comprendre la victoire du Front Populaire en 1936, il faut remonter au début des années 30. La France est alors touchée par des difficultés économiques liées au krach boursier de 1929 venu des États-Unis. Entre 1932 et 1934, la France enregistre 25% de chômage en plus, environ 340 000 personnes sont sans emploi dans le pays. Les gouvernements successifs de Paul Doumer et Albert Lebrun ne parviennent pas à trouver une solution et le budget devient de plus en plus déficitaire.
Les classes moyenne et populaire sont les plus touchées, ce qui fait naître un antiparlementarisme de plus en plus vif. Durant cette période, la crise est exacerbée par trois scandales politico-financiers. Les affaires Hanau et Oustric déclenchent les premières tensions, en mettant en lumière les relations étroites de financiers avec certains politiques, au détriment des petits épargnants. Mais c’est l’affaire Stavinsky, dévoilée en 1934, qui va mettre le feu aux poudres.
Au début de l’année 1934, une enquête dévoile qu’un escroc du nom d’Alexandre Stavinsky a pu détourner plus de 200 millions de francs, avec la complicité du député-maire de Bayonne. Les faits vont même plus loin : Stavinsky a déjà été poursuivi pour fraude, et son procès a été remis dix-neuf fois. L’enquête met en lumière les relations de l’escroc avec toutes les strates du pouvoir, aussi bien dans la police que dans la presse ou la justice. Le scandale est immense et entraîne, entre autres, le limogeage du préfet de police Jean Chappe.
La réaction des militants de droite est immédiate : le 6 février 1934, une manifestation antiparlementaire est organisée par des ligues d’extrême-droite, des associations de combattants et d’autres groupes de droite. Sur la place de la Concorde, la manifestation se transforme en émeute et provoque la mort de 19 personnes (18 civils et un membre des forces de l’ordre). Le second gouvernement Daladier, qui n’était en place que depuis huit jours, chute le 7 février.
Comment a été créé le Front Populaire ?
Les événements du 6 février 1934 déclenchent un mouvement venu de la gauche, déterminée à lutter contre "le danger fasciste". Pour mieux comprendre, il faut prendre en compte la situation de l’Europe au même moment : Hitler est chancelier d’Allemagne depuis 1933, Engelbert Dollfuss a instauré un Etat autoritaire en Autriche et Mussolini et Staline sont en train de consolider leurs positions en Italie et en URSS.
Au moment de la crise de février 1934, les partis de gauche sont fortement divisés. Les communistes et les socialistes, notamment, ne parviennent pas à s’entendre. Mais l’émeute les convainc qu’ils viennent d’assister à une tentative de coup d’état. L’indignation les rassemble et on assiste à un début d’entente.
Il faudra attendre quelques mois pour que ce sentiment donne lieu à une action concrète. Les partis de gauche s’unissent sous une même bannière, mais avec un programme encore peu développé : "Pain, Paix, Liberté".
Ce qui fait la force du Front Populaire lors des élections législatives de 1936, c’est la logique de désistement. Au premier tour, chaque candidat peut se présenter sous sa propre étiquette : socialiste, communiste ou radical. Au deuxième tour, les candidats ayant obtenu de moins bons scores se désistent au profit du candidat du Front Populaire le mieux placé. Entre le premier et le second tour, les désistements ont été quasiment systématiques, permettant au Front Populaire d’obtenir 386 sièges.
Qui est le chef du Front Populaire ?
La SFIO ayant obtenu un électorat de près de deux millions de voix, Léon Blum est nommé président du Conseil par Albert Lebrun en juin 1936. Il conservera son poste pendant un peu plus d’un an avant d’être remplacé par Camille Chautemps, un radical, qui y restera huit mois avant de céder sa place à Léon Blum, une nouvelle fois.
Les mesures sociales du Front Populaire
Parmi les plus importantes mesures sociales créées par le Front Populaire, on peut citer la signature des accords Matignon, le 7 juin 1936. Ces accords assurent :
- La création des conventions collectives
- La liberté syndicale
- La hausse des salaires
- L’élection de délégués du personnel
- L’application du droit de grève
Parmi les autres mesures historiques du Front Populaire, les deux plus importantes restent l’instauration de deux semaines de congés payés pour les travailleurs et la réduction du temps de travail à 40h.
Pourquoi le Front Populaire prend-il fin ?
Aucun gouvernement entre 1930 et 1939 ne parvint à endiguer l’aggravation de la situation économique et le Front Populaire ne fit pas exception. Après la démission du premier gouvernement Blum, Camille Chautemps dut faire face à un nouveau creusement du déficit budgétaire. Début 1938, il demanda les pleins pouvoirs financiers pour endiguer la crise. La demande fut refusée en mars 1938, en partie à cause des votes socialistes, poussant Chautemps à la démission.
Léon Blum fut rappelé par Lebrun en mars 1938 et fit la même requête auprès du Sénat. Là encore, la demande de pleins pouvoirs financiers fut refusée. Blum démissionna après 28 jours seulement.
Il fut remplacé par Edouard Daladier, un radical, qui décida de revenir sur plusieurs réformes du Front Populaire, déclenchant une vague de contestations. Les manifestations furent violemment réprimées, et des licenciements massifs engagés. Les réformes de Daladier marquèrent une nouvelle fracture dans la gauche en signant la fin du Front Populaire.