Il devient, à 44 ans, le premier président de la Ve République réélu hors cohabitation. Emmanuel Macron a été réélu dimanche président de la République face à Marine Le Pen, le chef de l'État sortant remportant entre 57,6% et 58,2% des suffrages, selon les estimations disponibles à 20 heures. Une nette victoire tempérée par l'écart notablement serré avec l'extrême droite et une abstention élevée, estimée entre 28,1% et 29,7%. La candidate du Rassemblement national gagne quelque huit points par rapport à la présidentielle de 2017. Elle avait alors recueilli 33,9% des voix. Selon les premiers chiffres, Marine Le Pen obtiendrait entre 41,8% et 42,4% des voix.
Donné de longue date favori à sa propre succession, Emmanuel Macron devient le premier président sortant reconduit hors cohabitation, depuis l'adoption du vote au suffrage universel direct en 1962. Il est aussi le troisième président de la Ve République à effectuer un deuxième mandat après François Mitterrand (1981-1995) et Jacques Chirac (1995-2007). Cette victoire ne lui offre cependant pas un blanc-seing pour les cinq ans à venir, au moment où l'attendent des défis colossaux, sur fond de guerre en Ukraine et d'inflation galopante.
46% des Français expriment "un sentiment négatif"
Ainsi, 46% des Français expriment "un sentiment négatif" face à cette réélection, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria diffusé dimanche soir. D'ores et déjà, le président-candidat a promis de se renouveler en profondeur, tant sur la forme que sur le fond. Une nécessité à la tête d'une France coupée en deux, voire en trois au regard du nombre d'électeurs parmi les 48,7 millions appelés aux urnes qui ont choisi de bouder les isoloirs dimanche, dans ce remake de 2017 organisé alors que les trois zones scolaires sont en vacances.
Arrivé au pouvoir il y a cinq ans "par effraction", selon ses propres mots, Emmanuel Macron poursuit sa trajectoire personnelle météorique, à la fois classique et inclassable dans un paysage politique qu'il a dynamité. Mais lui qui avait promis au soir de sa victoire en mai 2017 de "tout" faire pour que les électeurs "n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes" n'a pas réussi à freiner la montée en puissance de Marine Le Pen.
La candidate RN, qui a énormément misé sur le pouvoir d'achat pour se démarquer, sera parvenue à lisser son image, sans rien céder à la radicalité de son projet sur l'immigration ou la sécurité.
Fin du "plafond de verre"
Vingt ans après l'émergence surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 (17,79% des voix), jamais l'extrême droite ne s'est approchée à ce point du pouvoir sous la Ve République. "Quant au plafond de verre, je crois qu'on ne peut plus en parler", constate Laurent Jacobelli, un des porte-parole de Marine Le Pen. "Cette aptitude à capter les colères pour faire des voix progresse", observait aussi cette semaine auprès de l'AFP le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, traçant un parallèle avec "le succès de Trump (aux États-Unis), de Bolsonaro (au Brésil), d'Orban (en Hongrie)".
Pour Marine Le Pen, c'est l'heure du bilan après un troisième échec dans la course à l'Élysée. "Tout ce qui en dessous de 50 est une déception", commentait avant les résultats Thierry Mariani auprès de l'AFP au pavillon d'Armenonville. "C'est difficile de se remettre d'une troisième défaite" mais "dans le paysage des oppositions très éclaté aujourd'hui (...) Marine Le Pen occupe avec le Rassemblement national la position dominante et elle restera l'opposante en chef", anticipait le politologue Pascal Perrineau vendredi sur Public Sénat.
Ce clivage est cependant loin de satisfaire les Français, comme en témoigne le niveau de l'abstention, estimé à 28%, soit davantage qu'en 2017 (25,44%), et un record depuis la présidentielle de 1969 (31%). Le contingent des votes blancs et nuls, qui avait atteint en 2017 un niveau inédit de 4 millions, devrait lui aussi être fourni. Signe qu'il fut difficile à M. Macron comme à Mme Le Pen de convaincre les orphelins du premier tour, dont une partie des 7 millions d'électeurs de l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon, arrivé en troisième position le 10 avril avec près de 22% des voix.
Place aux "troisièmes tours"
Jouant d'avance la carte de l'unité, Emmanuel Macron, qui a beaucoup triangulé à droite dans cette élection, a consenti des inflexions sur son projet pour séduire à gauche : davantage de concertation sur le report à 65 ans de l'âge de la retraite, et plus d'écologie aussi, avec la promesse d'une planification en la matière directement confiée au futur Premier ministre. La date de son investiture formelle n'est pas encore connue, mais interviendra nécessairement avant le 13 mai. Celle-ci devrait alors déclencher la démission de Jean Castex - pas avant le 1er mai, a prévenu Emmanuel Macron jeudi - puis la nomination d'un nouveau Premier ministre et la formation du gouvernement.
Se profilent surtout à l'horizon les législatives (12 et 19 juin) au cours desquelles le chef de l'État essaiera de conserver sa majorité, avec des députés de La République en marche, du Modem et autres partenaires. Une bataille très attendue par Jean-Luc Mélenchon, qui a demandé cette semaine "aux Français de (l)'élire Premier ministre" en votant pour une "majorité d'Insoumis" et de "membres de l'Union populaire". Un autre "troisième tour" pourrait avoir lieu aussi dans la rue où risquent de converger tous les insatisfaits du scrutin présidentiel, sur les braises encore chaudes de la crise des "gilets jaunes".