Pourquoi Alexandre Benalla avait-il toujours des passeports diplomatiques après son licenciement de l'Élysée cet été ? À quoi lui ont-ils servi, alors que l'ancien collaborateur élyséen s'est rendu au Tchad début décembre ? A-t-il effectué des activités privées, notamment relatives à des missions de sécurité, lorsqu'il était au Palais ? Telles étaient les questions auxquelles la commission d'enquête du Sénat sur l'affaire Benalla a tenté d'obtenir des réponses, mercredi.
Trois nouvelles auditions étaient en effet programmées, après trois mois de pause. Le directeur du cabinet du président de la République, Patrick Strzoda, a été entendu à 15 heures. À 17h10, c'est le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, qui avait rendez-vous devant les sénateurs. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a fermé la marche à 18h15. Lundi, Alexandre Benalla et Vincent Crase sont également convoqués.
Des révélations dans la presse. Ce sont des révélations dans la presse qui ont motivé ces nouvelles audiences. En effet, en décembre, le site Mediapart a révélé qu'Alexandre Benalla avait continué d'utiliser ses passeports diplomatiques après avoir été licencié de l'Élysée, à l'été dernier, et alors qu'il est toujours mis en examen pour le molestage de manifestants lors du 1er-Mai, à Paris. Selon Le Canard enchaîné cette semaine, l'ancien collaborateur aurait aussi conservé un téléphone crypté et deux "passeports spéciaux". Or, Alexandre Benalla s'est rendu au Tchad en décembre, pour aller voir le frère du président du pays qui, selon le sénateur LR François Grosdidier, "a un rôle éminent en matière de sécurité et d'importation d'armes". "On peut quand même s'interroger sur le rôle réel de monsieur Benalla dans une diplomatie parallèle", estime donc l'élu.
Les informations à retenir
- La commission d'enquête du Sénat sur l'affaire Benalla a repris du service après trois mois de pause
- Trois nouvelles auditions ont été organisées : Christophe Castaner, Jean-Yves Le Drian et Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République
- Patrick Strzoda a révélé qu'Alexandre Benalla s'était bien servi de son passeport diplomatique, y compris après son licenciement de l'Élysée, ce qui a été confirmé par Jean-Yves Le Drian
- Le directeur de cabinet a également accusé l'ancien collaborateur d'usage de faux : il aurait falsifié un document de la chefferie de cabinet pour obtenir un passeport sans en informer sa hiérarchie
Benalla a bien utilisé ses passeports diplomatiques
Comment Alexandre Benalla a-t-il pu rester en possession d'un passeport diplomatique après son départ de l'Élysée, officiel au 1er août 2018 ? Le principal intéressé avait indiqué dans la presse que ses passeports lui avaient été rendus par le personnel de l'Élysée. Ce qu'a farouchement nié Patrick Strzoda. Celui-ci a assuré que les documents n'étaient plus au Palais après le départ de l'ancien collaborateur. En revanche, "nous savons qu'il a utilisé presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1er août 2018 et le 31 décembre", a révélé le directeur de cabinet. Cette information est importante car elle contredit ce qu'avait assuré Alexandre Benalla devant la même commission d'enquête, le 19 septembre. Il disait alors avoir remis ses passeports. Si ces voyages sont confirmés, l'ancien collaborateur aura donc menti sous serment.
Troisième auditionné, le ministre des Affaires étrangères a confirmé les propos de Patrick Strzoda. Alexandre Benalla a utilisé ses passeports diplomatiques "à de nombreuses reprises, dès le mois d'août" 2018, a lancé Jean-Yves Le Drian devant la commission d'enquête, avant de préciser qu'il avait saisi le procureur de la République à ce sujet. En réalité, le ministre a eu la confirmation des autorités tchadiennes et israéliennes que l'ancien collaborateur s'était bien rendu sur leur territoire avec ce type de papiers. Il en a ensuite "déduit" que ce dernier avait utilisé son passeport diplomatique "pour l'ensemble" de ses voyages, notamment "au Congo, au Maroc et aux Bahamas".
Pourquoi ne pas avoir invalidé ce passeport indûment détenu ? Jean-Yves Le Drian a invoqué des problèmes techniques. De son côté, Christophe Castaner a expliqué qu'il était impossible pour ses services de le faire. Tout simplement parce que la personne n'était pas recherchée, et que son passeport n'était pas enregistré comme volé ou perdu. "On pourrait faire un signalement personnel, mais il n'y a eu aucune interdiction de sortie du territoire", a précisé le ministère de l'Intérieur.
Le ministre des Affaires étrangères a par ailleurs déclaré mercredi que l'ambassadeur de France au Tchad était au courant du déplacement de l'ex-collaborateur de l'Elysée Alexandre Benalla dans ce pays mais n'avait pas jugé utile d'en informer sa hiérarchie et que lui-même n'en avait donc pris connaissance que le 24 décembre. "J'ai interrogé le 26 décembre notre ambassadeur sur ce sujet. Il m'a fait savoir qu'il était informé de ce déplacement et qu'il n'avait pas considéré qu'il fallait en faire rapport", a relaté Jean-Yves Le Drian. "Je considère qu'il y a eu un manque d'appréciation de notre ambassadeur, il s'en est expliqué depuis et il a reconnu son erreur, voilà", a-t-il ajouté sans plus s'attarder.
Benalla accusé d'usage de faux
Autre information donnée par Patrick Strzoda, qui a beaucoup chargé Alexandre Benalla pendant son audition : celui-ci a fait trois demandes de passeport diplomatique, dont la dernière sans l'aval de l'Élysée. Le directeur de cabinet le soupçonne d'avoir utilisé le papier à en-tête du chef de cabinet pour faire la demande directement auprès du ministère des Affaires étrangères. "Si la hiérarchie en avait eu connaissance, elle s'y serait opposé", a-t-il martelé. Il accuse donc Alexandre Benalla de falsification et a annoncé avoir saisi la justice sur ce sujet. "On est confronté à un monsieur qui visiblement utilise régulièrement des faux pour avoir accès à des documents officiels."
Benalla n'a pas utilisé son téléphone crypté
Restait aussi la question du téléphone crypté. Patrick Strzoda ne s'est pas expliqué comment Alexandre Benalla avait pu le conserver. Le rendre "est une obligation qui n'a pas été respectée", a-t-il admis devant la commission d'enquête. Le 4 octobre, les services de l'Élysée ont constaté que le téléphone affecté à Benalla "était manquant". Depuis, l'appareil a été retrouvé dans ses affaires et l'avocat de l'ancien collaborateur a indiqué qu'il était tout disposé à le rendre. Mais Patrick Strzoda a néanmoins assuré qu'Alexandre Benalla ne s'était pas servi de ce téléphone après son départ. L'appareil "n'a plus été utilisé depuis le 1er juillet", ont conclu les services élyséens après analyse des communications.