Mercredi, le président de l'Assemblée nationale a fait son choix. Et quel choix. Pour remplacer Lionel Jospin au Conseil constitutionnel, Richard Ferrand a proposé Alain Juppé. Jeudi matin, accueilli en sa mairie de Bordeaux par des applaudissements nourris du personnel, l'édile a tourné 25 ans d'histoire commune quasi ininterrompue avec sa ville. "Quitter cet hôtel de ville est pour moi évidemment un crève-cœur", a-t-il confié, avant de remercier Richard Ferrand pour sa proposition. "C'est pour moi un honneur." Il prendra ses fonctions le 12 mars, après une audition par la commission des Lois de l'Assemblée nationale et sa prestation de serment.
Cette nomination a bien sûr des conséquences pour la mairie de Bordeaux, qui va devoir trouver un successeur à Alain Juppé. Mais politiquement, une autre donnée, peut-être moins évidente, vient s'ajouter au problème : celui du devoir de réserve. Les membres du Conseil constitutionnel y sont tenus, en vertu d'un décret de 1959. Ils "s'interdisent en particulier de prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l'objet de décisions de la part du Conseil". Mais aussi "d'occuper au sein d'un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction". Dans le cas d'Alain Juppé, cela aura au moins deux effets. D'abord, celui de priver une partie de la droite de figure tutélaire. Ensuite, d'empêcher toute parole de soutien pour les européennes à La République en marche!, qui aurait pu espérer un coup de pouce.
Les juppéistes orphelins
Battu à la primaire LR de 2016 par François Fillon, Alain Juppé, cofondateur de ce qui s'appelait à l'époque l'UMP, n'en restait pas moins une figure d'une partie de la droite. Son éloignement progressif, et notamment sa décision, confirmée début janvier, de ne pas reprendre sa carte du parti, ont certes effrité son influence. "Il y a belle lurette qu'Alain Juppé n'est plus, dans les faits, membre des Républicains", disait d'ailleurs Gilles Platret, porte-parole du parti, au JDD il y a un mois. "On va arriver à survivre. On va continuer à avancer."
Mais le maire de Bordeaux incarnait toujours un courant de la droite qui, bien que mis en minorité par l'arrivée de Laurent Wauquiez à la présidence, n'avait pas disparu. Son départ au Conseil constitutionnel va donc accentuer encore l'affaiblissement de ce centre droit qui pouvait constituer, aux yeux de certains chez LR, le dernier rempart à la fuite des élus et des militants vers La République en marche!. "Nous devons, aujourd'hui, nous interroger sur la façon dont nous nous adressons aux Français", estimait Arnaud Viala dans Le Monde il y a quelques jours. "Nous devons parler à la France de droite mais aussi de centre droit. Nous devons sortir du stéréotype d'une famille politique réactionnaire. Tant qu'on ne fera pas ce travail-là, nous continuerons à perdre des électeurs et des personnalités au profit d'Emmanuel Macron, même quand il est en grande difficulté comme maintenant."
La nomination d'Alain Juppé devrait laisser le champ libre à celles et ceux qui entendent reprendre le flambeau de la droite "sociale" et "modérée", comme Valérie Pécresse et Xavier Bertrand.
Pas de soutien public à LREM pour les européennes
L'autre conséquence de ce départ pour le Conseil constitutionnel sera pour La République en marche!. Depuis plus d'un an, Emmanuel Macron et Alain Juppé s'envoient des fleurs et s'ouvrent des portes, sans jamais conclure. À de multiples reprises ces derniers mois, le maire de Bordeaux a déclaré non seulement qu'il participerait à la campagne, mais aussi que c'était bien la position de LR aux européennes qui le déciderait, ou non, à quitter définitivement son parti historique. L'euroscepticisme affiché de Laurent Wauquiez était en effet une ligne rouge pour le maire de Bordeaux.
Mais tout ceci est désormais rendu caduc. "Je ne m'engagerai pas dans la campagne puisque je serai tenu au devoir de réserve", a rappelé Alain Juppé jeudi matin. "Je respecterai strictement cette règle." Mais le futur ex-édile a néanmoins reconnu que c'était "l'une des choses qui [l'avait] fait hésiter". "J'avais envie de participer", a-t-il confié.
Son retrait est une occasion manquée, pour La République en marche!, de s'arroger un soutien de poids. À défaut d'avoir pu le mettre tête de liste, puisqu'Alain Juppé avait refusé dès mars 2018, le parti présidentiel, un temps donné favori mais en perte de vitesse dans les sondages, aurait pu compter sur sa bienveillance et ses conseils. En novembre dernier, encore, Alain Juppé avait été reçu à l'Élysée pour discuter de la stratégie de LREM.
Campagne et stratégie sont désormais remisées au placard. Et si le maire de Bordeaux a donc confié sa pointe de regret sur les européennes, il est surtout apparu résigné dans son discours. "La vie politique est un combat", a-t-il déclaré. "J'ai aimé livrer ce combat et je l'ai fait pendant plus de 40 ans. Aujourd'hui, l'envie me quitte tant le contexte change." "L'esprit public devenu délétère", "la montée de la violence", "le discrédit" du personnel politique et "la stigmatisation des élites" ont poussé Alain Juppé à s'engager autrement. En restant sur la réserve.