L'Assemblée nationale a voté jeudi l'obligation pour les plateformes internet et moteurs de recherche de retirer en 24 heures les contenus haineux signalés par des utilisateurs, mesure clé d'une proposition de loi LREM, ainsi que la création d'un parquet spécialisé dans la lutte contre la haine en ligne.
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Les députés ont adopté par 31 voix contre six, et quatre abstentions, l'article 1er du texte de Laetitia Avia, inspiré d'une loi allemande de 2018. Il prévoit le retrait ou le déréférencement des contenus "manifestement" illicites sous 24 heures, sous peine d'une condamnation à des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros.
Le PS vote pour, LR s'abstient
Sont visées les incitations à la haine, la violence, la discrimination, les injures à caractère raciste ou encore religieuses. Seront également bannis les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l'apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine. Même sort pour les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie.
Les élus LREM et PS ont voté pour, les MoDem majoritairement aussi, tandis que les LR se sont abstenus et les autres groupes ont voté contre (LFI, PCF, UDI, Libertés et territoires).
Dans la nuit de mercredi à jeudi, les députés ont mis en exergue dans le texte de loi le "respect de la dignité humaine" et la lutte contre l'apologie des crimes contre l'humanité, mais n'ont pas étendu le champ d'application au négationnisme, ce qui a fait débat.
Les plateformes et moteurs de recherche concernés seront ceux dont l'activité sur le territoire français dépassera des seuils déterminés par décret. La proposition de loi prévoyait initialement un seul seuil, mais les députés ont souhaité en fixer plusieurs, pour viser également des petits opérateurs.
Les plateformes ne seront pas sanctionnées en cas de "retrait abusif" d'un contenu
Via un amendement du groupe Libertés et territoires, il a été prévu que les contenus illicites supprimés devront être conservés un an maximum, pour mise à disposition si besoin de la justice. L'Assemblée a en revanche rejeté un amendement communiste qui visait à sanctionner les plateformes en cas de "retrait abusif" d'un contenu. "Pour qu'elles se protègent au maximum, le risque est grand qu'elles ratissent large", a estimé Stéphane Peu.
Laetitia Avia a assuré que des "garde-fous" étaient prévus, qui vont être renforcés notamment par une obligation pour les plateformes de "mettre en oeuvre les moyens et procédures pour s'assurer de l'absence de retraits injustifiés".
Création d'un parquet spécialisé
Les députés ont également adopté un amendement du gouvernement qui vise à "spécialiser un parquet et une juridiction en matière de lutte contre la haine en ligne, en l'adossant au déploiement de la future plateforme de dépôt de plainte en ligne" prévue dans le cadre de la réforme de la justice. Un tribunal de grande instance sera désigné par décret pour exercer cette compétence.
Cet amendement "vient en quelque sorte concrétiser l'édifice" construit par la proposition de loi de Laetitia Avia, a affirmé la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Il concerne le texte examiné mais "va également au delà", a-t-elle souligné. Le parquet disposera d'une "compétence concurrente" sur ces sujets, a poursuivi la ministre, soulignant que les actes de cyber-haine publics comme les actes privés (SMS, etc.) pourront être concernés.
Une circulaire expliquera comment le parquet spécialisé articulera ses missions avec les parquets locaux, a-t-elle précisé. Pour les actes privés, une personne qui portera plainte en ligne verra sa plainte traitée par le parquet spécialisé qui pourra "aiguiller" des dossiers vers le parquet local, a détaillé la ministre.