Le livre Un président ne devrait pas dire ça… n’en finit pas de faire couler de l’encre. Après avoir valu à François Hollande l’hostilité de la magistrature, après avoir nourri à foison les attaques de l’opposition, après avoir provoqué la sidération dans son propre camp, l’ouvrage signé Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes du Monde, font désormais peser une menace autrement plus grave sur le quinquennat du président de la République. Car la question se pose désormais de savoir si le chef de l’Etat n’a tout bonnement pas respecté le secret défense en divulguant des informations et des documents à ses interlocuteurs.
Pour Nicolas Sarkozy, qui a emboîté mercredi le pas de nombreuses autres personnalités de l’opposition, l’affaire est entendue. "Je suis sûr qu'un jour ou l'autre M. Hollande aura à rendre compte de cette violation manifeste du secret défense", a déclaré l’ancien chef de l’Etat sur France Info. "Il n'y a pas de violation du secret défense", a rétorqué Stéphane Le Foll à la sortie du Conseil des ministres. "Ce qu'a dit le président de la République, c'est qu'il a pris des décisions contre ceux qui étaient des terroristes qui agissaient contre la France. Point. Les choses sont claires", a insisté le porte-parole du gouvernement. La fin du mandat est trop proche pour craindre une destitution, mais les dégâts occasionnés pourraient être de long terme.
- Que lui est-il reproché ?
François Hollande reconnaît sans détour avoir donné son accord à des opérations d’assassinats ciblés, baptisées opérations "Homo" et confiées au service Action de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) - les Services secrets, autrement dit. "J’en ai décidé quatre au moins, glisse-t-il aux deux journalistes lors d’un entretien, le 9 octobre 2015. "D’autres présidents en ont fait davantage", précise-t-il. Un mois plus tard, face aux mêmes interlocuteurs, le Président rétropédale. "C’est totalement fantasmé", jure-t-il. Mais le mal est fait. D’autant que le 7 mars 2014, François Hollande avait montré aux journalistes une liste de 17 responsables terroristes à neutraliser. Une liste forcément classée secret défense.
" C’est doublement idiot "
"C’est grave", s'insurge Eric Denécé, du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). "Sur un plan moral, un président de la République doit prendre ce genre de décisions, mais il ne doit surtout pas s’en vanter. C’est doublement idiot. D’abord parce que c’est un secret d’Etat. Ensuite parce que les proches des gens ciblés ne savent pas forcément que ça venait de la France. Et un groupe pourrait avoir une raison de plus de se venger de notre pays. C’est vraiment une information qu’on ne donne pas", soupire ce docteur en sciences politiques.
Mais ce n’est pas tout. Le 30 août 2013, alors que la France attend l’aval des Etats-Unis pour frapper le régime syrien, François Hollande consulte, devant les journalistes, des documents. L’un, classé "Confidentiel défense", dont Le Monde a eu copie et que le quotidien reproduit le 25 août dernier, détaillait précisément l’un des raids aériens prévus par l’armée française. Difficile de ne pas penser que c’est le président de la République lui-même, ou l’un de ses proches, qui a transmis aux journalistes ce document. Qui n’a certes jamais servi, puisque Washington - et Paris dans son sillage - a finalement renoncé aux frappes aériennes, mais qui reste classifié.
Là encore, Eric Denécé fulmine. "Donner un document 'Confidentiel défense' à des journalistes, c’est ahurissant. Ça ne se fait pas. Même si le document avait été déclassifié, un président ne fait pas ça. C’est scandaleux, et ça révèle un grand amateurisme, une grande irresponsabilité, toute considération politique mise à part", lâche-t-il.
- Que risque-t-il (en théorie) ?
Au niveau du Code pénal. La divulgation d’un document sacré "Très secret-défense", "Secret défense" ou "Confidentiel défense", les trois niveaux de classification du secret de la Défense nationale, est évoquée dans le Code pénal, dans l’article 413. A l’alinéa 10, il est écrit : "Est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ou permanente, d'un document, information (…) qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit d'en donner l'accès à une personne non qualifiée ou de le porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée."
" "Ce sera très difficile d'apporter la preuve explicite d'une faute" "
Jusque dans sa majorité, le malaise est palpable. "La réponse est dans le titre du livre. C’est la seule réponse. Un président ne devrait pas dire ça", s’était agacé Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, devant l’Association de la presse diplomatique. Quant à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense et fidèle parmi les fidèles de François Hollande, il n’a pas réagi en public, mais le palais présidentiel a résonné de sa colère ouverte contre le chef de l’Etat.
Mais pour Eric Denécé, François Hollande ne craint pas grand-chose. "Ce sera très difficile d'apporter la preuve explicite d'une faute sur les opérations 'homos'", explique le directeur du CF2R. "Il pourra très bien se défausser. On ne peut pas prouver qu'il a mis en danger la défense de la Sécurité nationale. C'est juste sa réputation qui est en cause."
La destitution. Certains élus de droite ont même envisagé de lancer une procédure de destitution à l’encontre de François Hollande. Celle-ci est prévue par l’article 68 de la Constitution "en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat". Une interprétation large est donc autorisée, mais la mise en place est plus ardue. Il faut d’abord que l’une des deux chambres, l’Assemblée ou le Sénat, adopte à la majorité des deux tiers une proposition de réunion de la Haute Cour, seule instance à pouvoir prononcer la destitution. Puis que l’autre chambre approuve dans les mêmes modalités. Autant dire une gageure.
Et de toute façon, la droite ne souhaite pas vraiment la chute de François Hollande. "Ce n’est pas à nous d’affaiblir Hollande. Au point où il en est, nous n’aurons pas de meilleur adversaire socialiste que lui", a argué Christian Jacob, patron des députés Les Républicains, selon un confidentiel du JDD. Une position confirmée par Nicolas Sarkozy mercredi matin. "Le pauvre, d'ailleurs, ce qu'il en reste, on va destituer qui ?", a perfidement lâché l’ancien chef de l’Etat. Mais sur ce sujet, la droite n’a sans doute pas dit son dernier mot.