Des débats en corse et en français, avec traduction simultanée dans les deux langues, c’est l’usage depuis plusieurs années à l’assemblée territoriale de Corse. Cette règle figure dans le règlement intérieur de la collectivité. Mais parler une autre langue que le français est interdit dans l’exercice d’une mission de service public. Cette décision de la cour, prononcée le 19 novembre rejette l'appel de la Collectivité de Corse (CDC) contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 mars 2023 qui avait annulé les délibérations de l'assemblée de Corse et du conseil exécutif de la CDC validant l'utilisation de la langue corse.
"Contraire à la constitution"
"Il résulte des dispositions de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 en vertu desquelles "La langue de la République est le français" que l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public", rappelle la cour. Elle confirme que "l'article 16 du règlement intérieur du conseil exécutif de Corse, ainsi que l'article 1er du règlement intérieur de l'Assemblée de Corse", en prévoyant "le droit de s'exprimer (..) dans une langue autre que la langue française", sont "contraires aux exigences de l'article 2 de la Constitution".
"Inacceptable" pour de nombreux élus de l’île dont le président autonomiste de l'exécutif corse, Gilles Simeoni. "On chasse tout simplement la langue corse de l'espace public, on la condamne à la clandestinité et donc la disparition. Ce n'est pas envisageable, c'est attentatoire au pluralisme linguistique et donc à la démocratie. Nous allons bien sûr contester cette décision".
La Collectivité de Corse va saisir le Conseil d'État et sur un plan plus politique, demander une révision constitutionnelle. Dans une résolution votée ce vendredi soir à l’unanimité, l’assemblée de Corse (toutes tendances politiques confondues) et le conseil exécutif "confirment avec détermination leur volonté de continuer à parler le corse au sein de l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, exigent que les règlements intérieurs votés à l’unanimité par l’Assemblée puissent s’appliquer pleinement."
Les élus de l’île "réaffirment leur volonté que la langue corse et la langue française puissent être librement utilisées dans les actes de la vie publique, conciliant le droit au libre usage de la langue et l’égalité de tous les citoyens" et "s’engagent à mobiliser les moyens juridiques et démarches politiques pouvant concourir à atteindre cet objectif" insistant sur le fait "qu’une révision constitutionnelle est indispensable" et qu’ils s’emploieront politiquement à mener ce combat.
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"Une décision contraire aux textes internationaux"
Ces derniers jours en Corse, plusieurs manifestations émanant d’une partie de la jeunesse corse et de syndicats ont été organisées. La collectivité apporte son soutien à ces mobilisations populaires qui parfois, notamment à Bastia jeudi, ont été émaillées d’incidents sporadiques.
Dans la rue la décision de la juridiction administrative suscite la même incompréhension de la part de nombreux Corses. "Moi, je ne comprends pas à partir du moment, ou les débats sont traduits pour ceux qui ne maitrisent pas la langue", s'interroge sur un banc du centre-ville d’Ajaccio une femme âgée. À ses côtés une amie plus jeune acquiesce. "C'est comme les Bretons, les Basques, on a des particularités… c’est justement, ce qui fait la richesse de la France."
Et d’ajouter : "ici on a des écoles bilingues, des professeurs de corse financés en grande partie par l’état et on va interdire aux Corses de parler leur langue dans l'hémicycle. C’est paradoxal mais on n'est pas à un paradoxe près en France en ce moment."
Les nationalistes corses au pouvoir estiment par ailleurs que cette décision est contraire aux droits européens et internationaux, protégeant les droits fondamentaux sur un plan linguistique. Avec le soutien d’autres élus de l’île, ils sont bien décidés à porter l’affaire devant les juridictions internationales et à faire annuler par le Conseil d'état, ce jugement de la cour d’appel administrative de Marseille.