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Interview – Guerre commerciale avec Donald Trump : «On ne doit pas se coucher» assure Annie Genevard, ministre de l’Agriculture

Alexis Delafontaine . 5 min
Interview – Guerre commerciale avec Donald Trump : «On ne doit pas se coucher» assure Annie Genevard, ministre de l’Agriculture
Interview – Guerre commerciale avec Donald Trump : «On ne doit pas se coucher» assure Annie Genevard, ministre de l’Agriculture Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP / © Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Invitée de La Semaine Politique sur Europe 1, Annie Genevard a répondu aux menaces de Donald Trump d’imposer 200% de droits de douanes sur les vins, champagnes et spiritueux français. La ministre de l’Agriculture assure que la France "ne doit pas se coucher" devant le Président américain, et appelle l’Europe à faire front commun.

La ministre française de l'Agriculture, Annie Genevard, a abordé, lors d'une interview à Europe 1, les enjeux géopolitiques actuels, notamment les négociations de paix en Ukraine, la place de l’Europe face à la Russie et les tensions commerciales avec les États-Unis. Elle a défendu la position ferme de la France et de l’Union européenne dans le soutien à l'Ukraine tout en appelant à la prudence et à l’ouverture au dialogue. Elle a aussi évoqué aussi les impacts des menaces de Donald Trump sur les exportations françaises et le rôle de l’agriculture dans ces discussions internationales.

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Les négociations concernant la résolution du conflit en Ukraine se tiennent en Arabie Saoudite, à Washington, directement entre Russes, Américains et Ukrainiens, pendant que nous, Européens, semblons être un peu relégués au rôle de figurants. Comment la France et l’Europe peuvent-elles influer sur le cours de ces négociations ?

Annie Genevard : "Je pense que l’Europe est au contraire au premier plan, car elle a régulièrement et fermement réaffirmé son soutien à l’Ukraine, qui est la victime dans ce conflit. De plus, l’Europe est amenée à se questionner sur sa propre capacité à défendre sa souveraineté en matière militaire et de sécurité. Ces enjeux nous placent au cœur du débat".

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Que répondez-vous à des personnalités politiques de premier plan comme François Fillon, Hervé Morin ou Henri Guaino, qui affirment ces derniers jours qu'il y a une forme d'instrumentalisation de la menace russe par Emmanuel Macron, afin de capitaliser sur la réelle angoisse des Français ?

A.G : "Je pense que la question est trop grave pour qu'on en fasse une analyse strictement politique et hexagonale. En réalité, le débat qui agite la classe politique française est le même que celui qui se joue au niveau européen. Dans chaque pays, cette question se pose : faut-il augmenter les budgets militaires ? Comment passer d’une situation de fragilité à une position où nous serions des interlocuteurs capables de discuter d'égal à égal avec les grandes puissances ? Je crois au contraire que cette situation a permis d'affirmer une position claire vis-à-vis de l'Ukraine. Nous ne voulons pas abandonner notre soutien à l'Ukraine, mais nous ne sommes pas non plus dans une surenchère guerrière. Il ne s'agit pas de déclencher la Troisième Guerre mondiale, mais d'être lucide sur les enjeux de souveraineté qui se jouent aujourd'hui".

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On sent aussi que le président de la République a haussé le ton. Il évoque même la possibilité d'envoyer des troupes et parle de conflit hybride avec la Russie. On a l'impression que les mots ont un sens et que nous entrons dans une période plus difficile, comme il le dit lui-même solennellement

A.G : "Il est vrai qu'il faut rappeler le rôle des institutions. Le président de la République est en charge des questions internationales, ce qui est confirmé par la Constitution. En soi, ce n’est rien de choquant. Nous n'en sommes pas encore à l'envoi de troupes au sol. Rien ne peut se faire avant qu'un accord de trêve soit trouvé, suivi par l'établissement d'une paix durable, protégeant à la fois les intérêts d'un pays agressé et contenir les volontés expansionnistes de la Russie. Il me semble qu'une clarté est nécessaire sur ce sujet.

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Cette semaine, à l'Assemblée nationale, les députés ont adopté une résolution de soutien à l'Ukraine, dans laquelle il est précisé que la France souhaite accélérer le processus d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Certains craignent que nos agriculteurs ou producteurs soient envahis par une concurrence déloyale, notamment sur le poulet. Qu'en pensez-vous ?

A.G : "Je pense qu’on n’en est pas encore à l'intégration de l’Ukraine dans l'Union européenne, car c’est un immense pays, notamment sur le plan agricole. Son intégration aurait des conséquences lourdes pour nos propres systèmes agricoles. Lors de ma visite en Pologne, les autorités m'ont surtout exprimé leurs inquiétudes concernant la concurrence ukrainienne. Nous avons d'ailleurs observé cette concurrence dès la levée des droits de douane sur les productions ukrainiennes, avec des effets immédiats sur certaines filières, notamment le poulet et l'œuf. Cela a créé une déstabilisation rapide, nous obligeant à prendre des mesures d'urgence. Il faut comprendre que l’agriculture ukrainienne est d’une dimension mondiale, et même en guerre, elle peut déstabiliser nos propres filières".

L'autre front, si je puis dire, est celui imposé par Donald Trump, qui menace hier la France et l’Europe de droits de douane supplémentaires de 200 % sur nos vins, nos spiritueux, nos champagnes. Les producteurs sont sous le choc, ils sont même apeurés par cette menace. Que leur dites-vous ? Faut-il s'inquiéter ?

A.G : Ces menaces sont terrifiantes, car elles pourraient anéantir nos exportations de vins et spiritueux aux États-Unis, avec des conséquences financières et même existentielles pour ces filières, notamment le cognac, l'armagnac et les viticulteurs. La perspective d’une augmentation de 200 % des droits de douane est une menace existentielle. C'est une situation extrêmement grave, mais il est important de noter que ce n’est encore qu’une menace et non une décision définitive. Ce type de décision serait perdant-perdant, non seulement pour l’Union européenne et la France, mais aussi pour les États-Unis. Ce qui me gêne, c’est que dans le cadre des sanctions européennes, le bourbon américain a été particulièrement visé. Je regrette qu'on n'ait pas pris plus de précautions et que les conséquences économiques n'aient pas été suffisamment examinées avant de prendre ces mesures.

Mais François Bayrou dit qu’il ne faut pas se laisser terrasser par la menace. Concrètement, que faut-il faire aujourd’hui ? Faut-il entrer dans une surenchère des droits de douane avec les États-Unis, c'est-à-dire menacer à notre tour de nouveaux droits de douane contre les produits américains, ou faut-il au contraire engager une négociation avec Donald Trump ?

A.G : "Il faut faire preuve de fermeté. On ne peut pas se soumettre à de telles menaces. Il est crucial de ne pas simplement dire : "excusez-nous, on renonce". Il faut une grande clarté et une fermeté de principe. Une telle déclaration de guerre commerciale doit faire l'objet d'une réponse forte de la part de l’Union européenne. Cela dit, il est aussi important d’ouvrir les voies de la discussion. Cette fermeté doit être accompagnée de la volonté d’une négociation, car autrement, nous resterons dans une impasse où tout le monde perdra. Je pense que les agriculteurs et viticulteurs américains devraient eux aussi faire entendre leur voix auprès de Donald Trump, en lui signalant qu’ils risquent de beaucoup perdre dans cette affaire".

François Bayrou affirme qu'il ne faut pas se laisser terrasser par la menace. Concrètement, que doit-on faire aujourd’hui ? Faut-il entrer dans une surenchère de droits de douane avec les États-Unis ? 

A.G : "Il faut deux choses. D’abord, de la fermeté. On ne doit pas se coucher. On ne peut pas dire : "excusez-nous, on va renoncer". Il est crucial d’affirmer une grande fermeté, notamment face à une déclaration de guerre commerciale, dont il faudra d’ailleurs vérifier la légitimité juridique selon les règles de l’OMC. Une telle menace ne peut pas rester sans réponse de l’Union européenne. Il faut donc de la clarté et de la fermeté. Ensuite, il faut également ouvrir les voies de la discussion. Cette fermeté doit être réciproque et doit déboucher sur une négociation. Sinon, nous resterons dans une situation où tout le monde perdra. Je pense que les agriculteurs et viticulteurs américains devraient, eux aussi, faire pression sur Donald Trump, en lui signalant qu’ils risquent de beaucoup perdre dans cette affaire".