La déchéance de nationalité plombe la révision constitutionnelle

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L’abandon probable de la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux fâche la droite et rend incertaine la révision constitutionnelle voulue par François Hollande. Le gouvernement cherche à se sortir du piège. 

La révision constitutionnelle annoncée par François Hollande après les attentats du 13 novembre semble aujourd’hui bien incertaine. En cause : la déchéance de nationalité pour les binationaux. François Hollande l’avait annoncée lors du Congrès du 16 novembre, fâchant la gauche de la gauche. Le président de la République devrait finalement annoncer y renoncer dès mercredi, comme l'a confirmé, sans doute un peu tôt, Christiane Taubira, mécontentant cette fois la droite, dont le soutien est indispensable pour modifier la Constitution. Voilà donc le chef de l’Etat pris au piège. Et contraint de chercher des solutions pour en sortir.

  • De l’annonce solennelle à l’abandon

Ce qu’avait dit François Hollande le 16 novembre. Trois jours après les attentats de Paris et de Saint-Denis, François Hollande avait été on ne peut plus clair au moment de l’annonce de la révision de la Constitution devant le Congrès réuni à Versailles. "Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terroriste, même s’il est né français", avait-il lancé, avant d’insister : "je dis bien même s’il est né français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité". La droite, qui avait plusieurs fois proposé la mesure, avait alors applaudi des deux mains, alors que l’aile gauche du PS, les Verts et le Front de gauche avaient grincé des dents, dénonçant notamment "une concession à l’extrême droite".

(A partir d'1'51'') :

Une mesure peu à peu abandonnée. Malgré la fermeté présidentielle, progressivement, la mesure a pris du plomb dans l’aile, jusqu’à un abandon probable, qui devrait être annoncé mercredi en Conseil des ministres. Confronté à une fronde grandissante de sa majorité, sceptique d’abord, franchement hostile ensuite, le couple exécutif s’en était remis à la décision du Conseil d’Etat. Las, le 17 décembre, celui-ci a décidé… de ne rien décider, laissant l’épine dans le pied de François Hollande. Finalement, ces derniers jours, le gouvernement a laissé entendre que la déchéance de nationalité ne serait pas inscrite dans la Constitution. Et, alors que la consigne était de laisser le Conseil des ministres trancher, du moins officiellement, Christiane Taubira l'a confirmé à une télévision algérienne dès mardi. 

La droite vent debout. Evidemment, dans l’opposition, on n’a que peu goûté ce revirement. "C'est une mesure symbolique, un message qu'on envoie au monde et c'est très important", a ainsi plaidé Eric Woerth sur France Inter. "Cela voudrait dire que le discours du Congrès était insincère, qu’il était prononcé sous le coup de l’émotion des attentats", s’indigne de son côté Eric Ciotti au Monde. "S’il recule, cela veut dire que sa fermeté était factice, que l’unité nationale n’était qu’un paravent politique pour placer le chef de l’Etat au centre du jeu et au final une manœuvre électorale avant les élections régionales", estime le député Les Républicains des Alpes-Maritimes.

Comme d’autres, le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes a aussi choisi Twitter pour s’indigner.

  • Comment le gouvernement compte s’en sortir

Les réactions tranchées de la droite sont problématiques pour François Hollande. Le chef de l’Etat aura en effet besoin de la majorité des 3/5e des parlementaires au Congrès s’il veut faire adopter sa révision constitutionnelle. Donc une bonne part des voix des députés et sénateurs de l’opposition. Alors l’exécutif a mis en place sa riposte.

Evoquer une mesure "symbolique". Premier argument désormais avancé par le gouvernement ; la déchéance de nationalité des binationaux ne concernerait finalement qu’une poignée d’individus. Vendredi, devant des journalistes, Manuel Valls avait ainsi évoqué une mesure "symbolique", qui ne constitue  "pas une arme pour lutter contre le terrorisme", lui préférant des mesures "efficaces", comme l’assignation à résidence. Le Premier ministre s’appuyait là sur l’avis du Conseil d’Etat, qui soulignait la "portée pratique limitée" de la déchéance de nationalité, dans la mesure où elle aurait "peu d'effet dissuasif sur les personnes décidées à commettre" des attentats. Message reçu par Bruno Le Roux, toujours prompt à relayer la parole présidentielle. "La réflexion continue sur la mesure symbolique qui doit s'adresser à ceux qui commettent des actes terroristes, mais pas forcément par la révision constitutionnelle", a-t-il expliqué sur iTélé.

Trouver des parades. Exit la déchéance de la nationalité, place à l’"indignité nationale". C’est semble-t-il la parade trouvée par l’exécutif, à en croire deux personnalités proches du pouvoir, Bruno le Roux et l’avocat Jean-Pierre Mignard. "Je préfèrerais que nous travaillions sur la peine d'indignité nationale qui existe aujourd'hui", a ainsi déclaré le chef de file des députés PS sur iTélé. En 1944, par contre, on avait créé l'indignité nationale, ça c'est très intéressant, qui permet de priver systématiquement de tous leurs droits et définitivement des personnes qui avaient oeuvré contre la liberté et l'unité de la nation", a abondé Me Mignard, très proche de François Hollande, sur France Inter. Cette indignité nationale, accompagnée d’une dégradation républicaine, prive en outre ceux qui en sont frappés d’accès à certaines professions du public et du privé. Elle se présente comme l’alternative idéale à la déchéance de nationalité, car elle existe déjà et n’implique pas de toucher à la nationalité.  

Problème : la mesure avait déjà été évoquée par Manuel Valls après les attentats de janvier. Et elle avait été retoquée par les députés PS, après consultation. "On aura du mal à penser que les terroristes djihadistes se soucient vraiment de perdre leur qualité de citoyen alors qu’ils sont prêts à sacrifier leur vie pour la folie à laquelle ils entendent obéir", avait alors argué Jean-Jacques Urvoas, président PS de la Commission des Lois, comme le rappelle Le Lab.

Insister sur les autres mesures. Pour convaincre la droite, François Hollande et Manuel Valls pourront aussi insister sur l’autre grand volet de la réforme constitutionnelle : l’inscription de l’état d’urgence dans la loi fondamentale. La mesure vise cette fois à donner un socle juridique incontestable aux dispositions dérogatoires permises par la loi sur l'état d'urgence de 1955, révisée le 20 novembre. Le Premier ministre Manuel Valls avait lui-même reconnu devant les sénateurs la "fragilité constitutionnelle" de la loi et par là sa nécessaire consolidation.

Incontestablement, ce projet-là fait moins débat, même s’il déplaît à la gauche de la gauche. Mais la droite n’est pas non plus franchement convaincue. Le député Les Républicains Guillaume Larrivé, ancien conseiller juridique de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, évoque ainsi dans Le Monde une "révision en trompe-l'oeil", relevant "au mieux de l'esthétisme juridique". Bref, une mesure inutile. Décidément, la révision constitutionnelle est loin d’être acquise.