La société civile entre en force dans la vie politique. C’est du moins le souhait d’Emmanuel Macron, président de la République élu, qui a misé une bonne part de sa campagne sur cette promesse. Résultat : 52% des 428 candidats aux législatives présentés jeudi par La République en marche sont des novices en politique, puisqu’ils n’ont jamais exercé de mandats. Et le premier gouvernement d’Emmanuel Macron devrait aussi leur laisser une place non négligeable. Pour autant, est-ce un gage de succès pour le nouveau président ? Pas sûr.
- Une notion floue
Pour Richard Ferrand, le secrétaire général de LREM, des candidats de la société civile, "ce sont des hommes et des femmes qui n’ont jamais exercé de mandat électif et qui n’exercent aujourd’hui aucun mandat politique". En réalité, la notion est floue. "C’est une notion passe partout et extrêmement ambigüe", explique Gautier Pirotte, auteur de La notion de société civile, interrogé jeudi par Europe 1. "Il n’y a pas de définition très claire. Ça peut vouloir dire être issu de la société, être issu de mouvements, de mobilisation, être issu également du secteur économique. Donc c’est extrêmement variable", poursuit le sociologue, professeur à l’université de Liège.
Jean-Marie Cavada, eurodéputé depuis 2004, revendique toujours cette étiquette de "société civile". L’homme a longtemps été journaliste. Il a présenté pendant 17 ans La marche du siècle et a lancé en 1994 La Cinquième, devenue aujourd’hui France 5. La définition de soutien revendiqué par Emmanuel Macron est forcément positive. "La société civile, ce sont des gens qui, soit par leur exemplarité de terrain, par leur réussite professionnelle, leur respectabilité, ont une vue sur ce que doit être l’organisation politique, la société", explique-t-il. "Et plus précisément ce qu’elle ne doit pas être, ce qu’il faut casser, ce qu’il faut changer."
Gautier Pirotte tempère : "Cette notion de société civile n’est pas exempte d’inégalité. Il y a aussi une élite de la société civile. Elle n’est pas exempte de reproches, de jeux d’opposition, de conflits", rappelle le sociologue.
- Du sang neuf
L’avantage premier, celui qui saute aux yeux, dans la participation de la société civile en politique, c’est évidemment d’injecter du sang neuf dans un milieu volontiers vu comme refermé sur lui-même. "C’est un peu l’objectif d’Emmanuel Macron, de contribuer au renouvellement de la sphère politique en allant puiser dans la société civile de nouvelles forces, des forces vives", juge Gautier Pirotte.
Pour Jean-Marie Cavada, cela permet d’apporter "un regard différent et mettre un terme à des très mauvaises pratiques qu’ils n’ont cessé de dénoncer. C’est quelque chose de nouveau qui va équilibrer ceux qui ont une aspiration à être des professionnels de la vie publique", insiste l’ancien journaliste.
- Les risques : instabilité et inexpérience
Du sang neuf, donc. Mais toute médaille a son revers. Et celui de la société civile, c’est d’abord l’inexpérience. "On peut être un très bon expert, très compétent, avoir la volonté de changer le monde, de réformer le système politique, on ne doit pas non plus renverser la table par rapport à ce système. Etre un homme politique, c’est un métier", explique Gautier Pirotte. "Et pour ces gens, il y aura un période d’apprentissage", prévient l’universitaire. "Le risque le plus important, c’est le délai que mettront les gens à être formés", convient Jean-Marie Cavada, qui vante toutefois la formation mise en place par La République en marche, le mouvement d’Emmanuel Macron.
Gautier Pirotte pointe un autre écueil. "Il y a le risque aussi d’un ras-le bol, d’une sortie du gouvernement, d’une possible instabilité politique si le poste ne leur convient pas", assure le sociologue. "Il pourrait y avoir aussi une situation de déception".
Reste aussi à savoir jusqu’où l’étiquette de "société civile" tient, avant de se décoller. "Une fois qu’on endosse la responsabilité ministérielle, on n’en fait plus partie", tranche Gautier Pirotte. Selon cette définition, Jean-Marie Cavada peut donc encore s’en réclamer. En revanche, à entendre le sociologue, lundi ou mardi, à l’annonce du nouveau gouvernement, certains ne pourront plus revendiquer l’appellation.