Les députés LREM vont devoir trancher : Agnès Thill peut-elle rester parmi eux après avoir tenu des propos polémiques sur la procréation médicalement assistée (PMA) ? Jeudi, le cas de l'élue de l'Oise sera examiné par le bureau du groupe LREM à l'Assemblée. Le patron du groupe, Gilles Le Gendre, a dû s'y résoudre, acculé par une majorité de plus en plus irritée par les positions récurrentes et contraires à sa ligne de la parlementaire.
Agnès Thill, que certains députés souhaiteraient voir exclue du parti pour des déclarations sur la PMA, "retire" ses propos qui ont pu "blesser" mais maintient "ses positions", a-t-elle indiqué mercredi soir à l'AFP. "Ce qui a pu choquer et blesser, je le retire et présente mes excuses à ceux que cela a blessé", a déclaré Mme Thill, se disant "bien embêtée que l'on ne retienne que ces mots" et reconnaissant que "ce n'est pas la première fois qu'(elle est) maladroite". "Mes idées ne changent pas et je les défendrai" lors de l'examen du texte sur la bioéthique, a ajouté la députée LREM.
Des femmes seules comparées à des "drogués". La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est une vidéo, diffusée par Oise Hebdo lundi. Dans cette interview sur l'extension de la PMA aux femmes seules et aux couples lesbiens, Agnès Thill compare "la souffrance des femmes seules" à celle que peuvent éprouver les "drogués" en manque. "Un enfant n'est pas un médicament, c'est un être humain. J'entends bien que [ces femmes] souffrent, mais alors qu'est-ce qu'on fait ? Si un drogué souffre, on lui donne de la drogue ? Est-ce que je lui donne un enfant parce qu'elle souffre ?"
Des propos qui ont suscité un tollé, alors même qu'ils étaient supposés éteindre l'incendie déclenché le jeudi précédent. Ce jour-là, Agnès Thill avait fustigé le terme de "parent d'intention", utilisé dans le rapport de la mission de l'Assemblée nationale sur la bioéthique pour désigner celui qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant. "L'absence de genre dans le mot parent favorise l'éclosion d'écoles coraniques", avait alors écrit cette catholique pratiquante dans une lettre adressée à ses collègues LREM. Explication ? "Il n'y a pas, chez nos amis musulmans, de parent 1 ou de parent 2."
Une habituée des sorties de route. Agnès Thill est donc une habituée des sorties polémiques, parfois brutales, sur les sujets de bioéthique. En novembre 2018, elle avait dénoncé sur Twitter l'existence d'un "puissant lobby LGBT à l'Assemblée nationale". Plus tôt, en juillet, elle avait rétorqué à un internaute favorable à l'euthanasie, qui revendiquait le droit de mourir dans la dignité, que "le suicide n'est pas interdit en France". Si la députée a parfois reconnu une maladresse, notamment sur l'emploi du terme "lobby LGBT" ou la métaphore entre les femmes seules et les drogués, elle n'a jamais démenti le fond de ses propos, qui ne sont selon elle que l'expression normale de ses convictions.
Mon opinion [sur la PMA] a évolué avec le temps, notamment à la faveur des auditions menées à l'Assemblée sur la bioéthique.
"J'ai changé d'avis". De telles positions au sein de cette majorité, alors que l'extension de la PMA était écrite noir sur blanc dans le programme d'Emmanuel Macron, ont de quoi étonner. En réalité, l'élue de 54 ans, qui a brièvement été encartée au PS dans les années 1980, était proche de la ligne de LREM au moment de prendre l'étiquette du mouvement pour se présenter aux législatives, en 2017. À La Croix, en septembre 2018, Agnès Thill a expliqué avoir été "plutôt pour" l'extension de la PMA "lors de la campagne. Mais mon opinion a évolué avec le temps, notamment à la faveur des auditions menées à l'Assemblée sur la bioéthique. Je ne me rendais pas compte des conséquences d'un tel changement. Désormais, j'ai changé d'avis".
Pourtant, celle qui avait promis de ne plus jamais s'engager en politique et mis "six mois" à adhérer au mouvement d'Emmanuel Macron, avant d'être convaincue "par le programme", racontait au Parisien en décembre 2017qu'elle était personnellement opposée à la PMA.
Directrice d'école et mère seule. Son parcours personnel explique aussi cette position. Cette ancienne directrice d'école estime de son devoir de "protéger les enfants", comme elle l'a justifié auprès d'Oise Hebdo. Et le fait d'avoir elle-même élevé seule sa fille après son divorce la pousse à ne pas "créer des familles monoparentales et placer des enfants en situation de précarité affective et financière", souligne-t-elle dans les colonnes de La Croix. "Bien sûr, les enfants se développent, ils sont normaux, brillants, ils peuvent réussir dans la vie. Mais il n'empêche qu'il leur manque une aile."
Sur les autres sujets, Agnès Thill n'a aucun problème avec la ligne d'Emmanuel Macron. Elle est la première, sur les réseaux sociaux, notamment Twitter et sa page Facebook régulièrement alimentée, à vanter les réformes du ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ou à se féliciter des politiques économiques et fiscales mises en place. Une VRP modèle, également très active à l'Assemblée nationale. Selon le site Nos Députés, elle explose le temps moyen de présence dans l'Hémicycle.
Nous ne pouvons tolérer les raisonnements islamophobes, homophobes et paranoïaques d'Agnès Thill.
"Raisonnements islamophobes, homophobes". Reste qu'elle pourrait aujourd'hui être contrainte de partir du groupe avec lequel elle a été élue il y a moins de deux ans. Cette semaine, Benjamin Griveaux a condamné des paroles "insupportables et méprisantes". Trente de ses collègues ont cosigné une missive, adressée à Gilles Le Gendre, dans laquelle ils estiment ne "pouvoir tolérer les raisonnements islamophobes, homophobes et paranoïaques d'Agnès Thill". Celle-ci a vertement répondu, également dans une lettre au patron du groupe LREM, contestant "avec la plus grande force ces qualificatifs indignes", et qualifiant Aurélien Taché, l'un des signataires, de "Fouquier-Tinville d'opérette". Allusion peu flatteuse à l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire pendant la Terreur.
La question de l'exclusion. "Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage", proteste encore et toujours Agnès Thill auprès de Oise Hebdo. "On me traite d'homophobe, c'est faux, je ne suis pas homophobe. On me traite d'islamophobe, de raciste, c'est faux." Certains de ses collègues ont pris sa défense, à l'instar de Sonia Krimi (qui a, elle aussi, sur des sujets différents, adopté des positions contraires à la ligne du groupe) sur Twitter : "Je suis en désaccord avec ma collègue. Le débat parlementaire comme la cohésion de notre majorité ont besoin de l'expression de toutes les opinions. Les propos excessifs ou irritants se surmontent par la tolérance, la raison et le débat, non par l'exclusion."
Je suis en désaccord avec ma collègue @ThillAgnes Le débat parlementaire comme la cohésion de notre Majorité @LaREM_AN ont besoin de l’expression de toutes les opinions.Les propos excessifs ou irritants se surmontent par la tolérance,la raison et le débat,non par l’exclusion #PMA
— Sonia Krimi (@Sonia_Krimi) 22 janvier 2019
Aujourd'hui, Gilles Le Gendre est face à un dilemme. D'un côté, une exclusion semble logique, alors qu'Agnès Thill avait déjà été avertie en novembre dernier, pour la "dernière" fois en théorie. De l'autre, cela pourrait créer un appel d'air. LREM, qui a dû déjà affronter six départs, volontaires ou subis, depuis le début de la législature, n'a pas besoin de cela. Pour trancher ce nœud gordien, le chef de file des députés compte donc s'en remettre à un vote collectif.