Tous les ans, hommes et femmes politiques sont nombreux à se presser au dîner du Crif (conseil représentatif des institutions juives de France). Pour la 32e édition cette année, ils ont rendez-vous avec des ambassadeurs, des représentants religieux mais aussi des personnalités des médias ou des chefs d'entreprises mercredi soir, dans un grand hôtel parisien. Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon, tous trois candidats à la présidentielle, seront présents.
Instauré en 1985, le dîner du Crif était, à l'origine, un dîner de charité organisé au profit des différentes institutions de la communauté juive. Il est devenu, au fil des ans, un passage incontournable de la vie politique.
Une tribune politique... Les responsables publics l'utilisent en effet souvent comme une tribune. Dès la fin des années 1990, les Premiers ministres successifs, qui sont chargés de faire un discours, s'en emparent pour dévoiler des mesures qui concernent plus ou moins directement la communauté juive. Alain Juppé par exemple, y annonce en 1997 la mise en place d'un grand inventaire sur les biens des juifs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Trois ans plus tard, c'est Lionel Jospin qui s'illustre en évoquant la question du devoir de mémoire de la France. Ces annonces s'inscrivent dans un contexte particulier : c'est à partir de cette époque, et plus précisément du discours de Jacques Chirac au Vel d'Hiv en 1995, que Paris commence à reconnaître la responsabilité de la France pendant la Shoah. Dès lors, que les pouvoirs publics profitent de ce dîner pour dialoguer avec les représentants de la communauté juive n'a rien de surprenant.
…parfois même un peu trop. La teneur politique du dîner est si marquée que certains jugent qu'il sert beaucoup trop le pouvoir en place. Pendant la seconde cohabitation par exemple, une partie de la droite, à l'image du président du RPR Philippe Séguin, pratique la politique de la chaise vide pour exprimer son désaccord avec le Premier ministre socialiste, Lionel Jospin. Selon eux, ce dernier se sert du dîner du Crif pour tenir une tribune partisane.
Politique et polémique. Qui dit politique dit polémique. À partir de 2008, ce n'est plus le Premier ministre mais le président de la République qui devient l'invité d'honneur. Un changement qui tient aussi à la personnalité de Nicolas Sarkozy, élu l'année précédente, et qui entretient de très bonnes relations avec la communauté juive. Ce dernier commettra pourtant une bévue dès son premier discours en annonçant que chaque élève de CM2 se verra "confier la mémoire" d'un enfant victime de la Shoah. Les professeurs s'indignent d'une "intrusion du politique dans le pédagogique" et le projet sera finalement abandonné.
En 2013, c'est au tour de François Hollande de se prendre les pieds dans le tapis. La faute, cette fois, d'une petite blague qui passe très mal. Le président souligne en effet que Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, est revenu "sain et sauf" d'un voyage d'État en Algérie, ce qui est "déjà beaucoup". À Alger, le bon mot passe très mal et François Hollande, vingt-quatre heures plus tard, devra présenter ses "sincères regrets".
L'année dernière, c'est Manuel Valls –orateur en raison de l'absence exceptionnelle de François Hollande, alors en déplacement- qui prononce la phrase polémique de la 31e édition du dîner du Crif. "Il y a l'antisémitisme et il y a l'antisionisme, c'est-à-dire tout simplement le synonyme de l'antisémitisme et de la haine d'Israël", dit-il, déclenchant une vague de protestation à gauche.
Des absences notables. Dernière preuve que le dîner du Crif tient plus du rendez-vous politique que du gala de charité : les absences en disent autant que les présences. Pendant longtemps, les écologistes n'ont pas été invités en raison de leurs positions pro-palestiniennes. Les choses ont commencé à changer avec l'invitation, l'année dernière comme cette année, de Jean-Vincent Placé, membre du gouvernement. Mais pas question pour Francis Kalifat, président du Crif, de convier Yannick Jadot par exemple. "Les écologistes ont des positions qui ne sont pas claires, notamment à l'endroit du boycott anti-israélien qui, je le rappelle, est illégal", explique celui qui tiendra son premier dîner. Jean-Luc Mélenchon ou encore François Bayrou ne viendront pas non plus. Tous deux ont exprimé par le passé leur refus de s'asseoir à table pour une réunion qu'ils jugent "communautariste".
Le FN au cœur des préoccupations. Les responsables du Front national non plus ne sont pas les bienvenus. "Autour du FN, on doit maintenir le cordon sanitaire, ne pas faire sauter le verrou moral", estime Francis Kalifat. Une décision d'autant plus symbolique en période électorale. Outre la question de la montée en puissance de Marine Le Pen dans les sondages, le dîner du Crif à moins de deux mois du scrutin devrait être l'occasion d'aborder d'autres sujets brûlants, comme ce que Francis Kalifat appelle le "nouvel antisémitisme" qui "circule sur Internet". Le président du Crif attend notamment que les pouvoirs publics "trouvent le moyen de supprimer les contenus" haineux sur le web. Une nouvelle occasion de parler politique au dîner.