"Il ne s'agit pas de faire mieux, mais de faire différemment." Tel est le leitmotiv du nouveau "média citoyen" que s'apprêtent à présenter, mercredi soir, une poignée de personnalités étiquetées à gauche. Le principe est simple : un journal d'information, tous les soirs, tous les jours de la semaine, diffusé sur Internet à partir du 15 janvier prochain. Le nom aussi : "Le Média", tout naturellement. Là où les choses se corsent, c'est lorsqu'il est question de la ligne éditoriale. Car la présence aux manettes de Sophia Chikirou, conseillère communication de Jean-Luc Mélenchon, et Gérard Miller, psychanalyste et ancien chroniqueur chez Ruquier qui n'a jamais caché sa sympathie pour la France Insoumise, laissent planer le doute sur la finalité du Média. Serait-ce le lancement de la chaîne de télévision de Jean-Luc Mélenchon ?
Quelques insoumis aux Insoumis. Les porteurs du projet s'en défendent énergiquement. D'abord, en invoquant le fait que leur "manifeste" en faveur de ce média citoyen, publié dans Le Monde le 25 septembre dernier, a été signé bien au-delà des rangs de la France Insoumise. "Des gens comme Philippe Poutou, Aurélie Filippetti ou Arnaud Montebourg, il est difficile de dire qu'ils sont soumis aux Insoumis", souligne auprès d'Europe1.fr Gérard Miller, qui a lui-même décroché son téléphone pour contacter plusieurs signataires illustres. Si Thomas Guénolé, politologue qui a fait son coming-out pro-Mélenchon fin août, ou François Ruffin, Adrien Quatennens et Raquel Garrido, tous trois de la France Insoumise, ont bien soutenu le manifeste, ils côtoient de fait des journalistes (Cécile Amar ou Jack Dion), des artistes (Jean-Pierre Darroussin ou Robert Guédiguian) et des personnalités politiques d'autres courants de gauche (PCF, PS et écologistes).
" Bien évidemment, ce média espère s'appuyer sur l'énergie, l'intelligence, la détermination des gens de la France Insoumise. Mais tous ceux qui adhèrent aux valeurs sont les bienvenus. "
"Du journalisme engagé". Pas question, donc, de servir de support pour les idées de Jean-Luc Mélenchon. D'autant que l'ancien candidat à la présidentielle veut lui-même transformer sa chaîne YouTube en chaîne d'information. En revanche, Le Média fera bel et bien "du journalisme engagé qui ne se cache pas derrière son petit doigt", précise Gérard Miller. Le manifeste du 25 septembre avait clairement posé les bases : "humaniste", "antiraciste", "féministe", "défenseur des droits LGBTI", "écologiste", la webtélé se devra d'être aussi "progressiste". "Bien évidemment, ce média espère s'appuyer sur l'énergie, l'intelligence, la détermination des gens de la France Insoumise, ou des gens qui ont voté pour ce mouvement", explique Gérard Miller. "Mais tous ceux qui adhèrent aux valeurs sont les bienvenus."
"Pluralisme" et "indépendance de la rédaction". De son côté, Aude Rossigneux, qui prendra la direction de la rédaction, assure que l'antenne sera "pluraliste". "Je ne suis pas militante à la France Insoumise", rappelle sur Europe 1 cette diplômée du Centre de formation des journalistes, ancienne de France Télévisions et passée par Le Parisien Magazine, qui assume des convictions de gauche. Contactée directement par Sophia Chikirou dans le courant de l'été, elle lui avait fait part de ses exigences. "Et l'une des premières, c'était l'indépendance de la rédaction", raconte la conseillère communication de Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de Quotidien. Un exemple concret à l'appui : celui des batailles de chiffres lors des manifestations. "On fera comme tout le monde", confirme Aude Rossigneux. "On donnera ceux des organisateurs et ceux de la police."
"Subjectivité honnête". Ce que revendique Le Média, c'est une "subjectivité honnête". "Aujourd'hui, on demande aux journalistes, et c'est une erreur, de faire comme s'ils n'avaient pas d'avis sur un sujet", développe Aude Rossigneux au micro d'Europe 1. "Or, ce n'est pas vrai. On a tous un prisme d'analyse qui nous appartient." La future directrice de la rédaction n'a pas peur de dire que "cette injonction d'objectivité [la] gonfle". "Ça m'a pesé dans ma vie professionnelle. Je pense que les journalistes sont bridés par l'endroit où ils travaillent." Quid des médias engagés à gauche déjà existants, comme L'Obs, Les Inrockuptibles ou L'Humanité ? "Ils font ça sur format papier", balaie Sophia Chikirou dans Quotidien. Avant de rappeler que Le Média n'a vocation à "remplacer" aucun autre canal d'information.
Pour l'instant, les détails du projet restent flous. Les journalistes qui participeront à l'aventure n'ont pas encore été recrutés, même si Aude Rossigneux assure recevoir "beaucoup de CV", y compris de gens "qui ne sont pas exactement de gauche". Ceux qui ont signé le manifeste n'ont, jusqu'ici en tous cas, pas postulé. "Le fait qu'ils aient signé ne signifie absolument pas qu'ils viendront", confirme Gérard Miller. "Il n'y a jamais eu aucune ambiguïté là-dessus."
Un modèle économique à inventer. Les recrutements dépendent en réalité de la levée de fonds qui s'amorcera mercredi. Et du modèle économique finalement choisi pour Le Media. Gérard Miller reconnaît volontiers avancer à tâtons : "on est en train de l'inventer." La seule chose certaine, c'est que les porteurs du projet rejettent en bloc le financement d'un canal d'information par un groupe industriel, comme c'est le cas de la vaste majorité des médias aujourd'hui. La publicité non plus ne devrait pas être utilisée, du moins pas au début.
Leur modèle est plutôt à chercher du côté des coopératives biologiques qui émergent dans le secteur agricole. "Cette forme de coopérative, ou de Scop, me paraît la plus adaptée. L'idée forte, c'est que l'argent vienne du public." Chaque cotisant serait donc détenteur d'une part du Média, qui devra être gratuit pour être accessible au plus grand nombre. "Une folie de plus", s'amuse Gérard Miller. Si Sophia Chikirou évoque aussi une forme de "mécénat" possible pour des entreprises, ce sont sur ces dons que compte principalement reposer Le Média. Le manifeste annonçait déjà la couleur le 25 septembre : "Rien, absolument rien, ne se fera sans vous."