Pas sûr que Les Républicains avaient besoin d’une nouvelle ligne de fracture. C’est pourtant bel et bien ce qu’a créé Alain Juppé, peut-être à son corps défendant, samedi en évoquant devant des journalistes un "grand mouvement central en vue" des Européennes 2019, par le biais d’une alliance avec Emmanuel Macron. Le maire de Bordeaux a depuis rétropédalé, mais le mal est fait. Le sujet est sur la table, et met en lumière le fait qu’il existe, sur l’Europe comme sur d’autres sujets, deux camps au sein des Républicains. Sauf que la prochaine échéance électorale d’importance, ce sont précisément les européennes, en 2019. Cela va arriver vite. "
"On n’en est pas là". Alain Juppé a en tout cas créé un embarras certain en faisant l’éloge du président de la République. "Si Macron reste dans la ligne de son discours à la Sorbonne, je ne vois pas d’incompatibilité, a-t-il notamment déclaré". Dimanche, il a démenti sur Twitter vouloir une alliance. "Liste commune avec E. Macron aux européennes ? On n’en est pas là", a écrit l’ancien Premier ministre. On a connu démenti plus vigoureux.
Liste commune avec E.Macron aux européennes ? On n'en est pas là, quoi que me prête Le Figaro. Fausse nouvelle, une fois de plus !
— Alain Juppé (@alainjuppe) 12 novembre 2017
Une "erreur" pour Wauquiez. Si Alain Juppé a ainsi reculé, c’est parce que son idée n’a pas vraiment plu dans son camp. Laurent Wauquiez, favori pour prendre la présidence des Républicains en décembre, l’a qualifiée d’"erreur" dimanche sur France 3. "Nous ne partageons pas la même vision de l'Europe qu'Emmanuel Macron", a affirmé le président d’Auvergne-Rhône-Alpes. "C’est dangereux et contre-productif", s’alarme de son côté Geoffroy Didier, directeur de campagne de Laurent Wauquiez, dans Le Monde. "Car en donnant l’impression qu’il n’y a qu’une seule voie possible sur l’Union européenne, le macronisme, il fait de l’extrémisme la seule alternative possible."
Même Valérie Pécresse, tenante d’une ligne modérée, comme Alain Juppé, a renvoyé dans les cordes le maire de Bordeaux. "Des pro-Européens, il y en a toujours eu à gauche et à droite. François Mitterrand était pro-Européen, je n'ai jamais voté pour une liste socialiste" aux européennes, a souligné la présidente d’Ile-de-France dimanche sur Europe 1.
Mais attention à ne pas trop critiquer Alain Juppé. Certains veillent au grain, à l’image de Dominique Bussereau. "La parole d’Alain Juppé est tellement forte qu’elle est parfois détournée par les tenants d’une ligne tellement droite qu’ils en viennent à ignorer toute nuance", écrit ainsi le président de la Charente-Maritime sur Twitter. Démontrant par là même que le sujet est potentiellement explosif.
La parole d’@alainjuppe est tellement forte qu’elle est parfois détournée par les tenants d’une ligne tellement droite qu’ils en viennent à ignorer toute nuance @jpraffarin@alainjuppe
— Dominique Bussereau (@Dbussereau) 12 novembre 2017
"On va avoir des débats sur l’Europe". Il l’est d’autant plus que sur le fond, les divergences sont réelles. A l’opposé d’un Alain Juppé europhile, puisque sur la même ligne qu’Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez est lui volontiers tenté par l’euroscepticisme. Dans un ouvrage datant de 2014, Europe, il faut tout changer, le probable futur président des Républicains disait tout le mal qu’il pendant de l’UE sous sa forme actuelle, son fonctionnement et ses traités, Schengen en tête. Le 25 octobre dernier, lors d’un meeting, il fustigeait encore "l’Europe passoire, qui assiste passive à des vagues migratoires au-delà de la raison".
Deux lignes qui ont tout l’air d’être irréconciliables coexistent donc au sein de la droite. Et cela a parfois été destructeur dans le passé. S’il commence à être lointain, le souvenir de 1999 demeure. A l’époque, la droite s’était déchirée entre les souverainistes, incarnés par Charles Pasqua et Philippe de Villiers, et les pro-UE, incarnés par Nicolas Sarkozy. Résultat : la liste socialiste, portée par un certain François Hollande, arrivée en tête, devant les deux listes de droite. Un camouflet qui a laissé des traces. "Ce que je dis, c'est qu'on va avoir des débats sur l'Europe", a admis, lucide, Laurent Wauquiez sur France 3. Dégager une ligne claire s’annonce coton.
D’autres fractures. D’autant que cette fracture s’ajoute à d’autres. La plus béante concerne l’attitude à adopter vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Avec à la clé la constitution d’un groupe à part à l’Assemblée nationale, les Constructifs, et en point d’orgue l’exclusion pure et simple, mais longtemps contestée, de personnalités tels qu’Edouard Philippe, Gérald Darmanin et Thierry Solère.
C’est sans doute la divergence la plus spectaculaire, mais pas la plus sérieuse. Car c’est sur la ligne politique que Les Républicains se déchirent. Pour beaucoup, Laurent Wauquiez penche trop à droite, et ses liens assumés avec Sens commun déragent les tenants d’une droite modérée. Alain Juppé est évidemment de ceux-là. En mettant l’Europe sur la table, l’ancien Premier ministre a mis Laurent Wauquiez en position délicate. Il n’est pas impossible que c’était là l’objectif recherché.