Six raffineries sur huit au ralenti ou à l'arrêt, entre 20% et 30% des stations-service en pénurie totale ou partielle, et un appel à la grève étendu aux centrales nucléaires : ça ne va pas vraiment mieux sur le front de la grogne sociale. La CGT livre une bataille sans merci contre le projet de loi Travail. Le syndicat réclame son retrait pur et simple, quand l'exécutif ne bouge pas d'un iota. Avec le risque de laisser pourrir la situation. Face à un conflit qui menace de s'éterniser, la marge manœuvre de François Hollande et Manuel Valls semble extrêmement réduite.
- Scénario n°1 : Droit dans ses bottes
Pour l'instant, le gouvernement affiche une fermeté à toute épreuve. Tous ses membres condamnent unanimement les actions syndicales. "Ce n'est pas la CGT qui fait la loi dans le pays", a tonné Manuel Valls, mercredi, lors de la séance des questions au gouvernement. Bien décidé à "lever les blocages" les uns après les autres, le Premier ministre a estimé que les menaces de grève dans les centrales nucléaires relevaient d'un "jeu étrange, celui de vouloir faire peur aux Français".
Cette stratégie permet au gouvernement de ne pas prêter le flanc à une droite toujours prompte à lui reprocher son laxisme, et qui ne manque pas de rappeler que, confrontée à la même situation en 2010, elle n'avait "jamais cédé". Comme le résume Alain Juppé sur Europe 1, "s'il recule aujourd'hui, le sentiment d'impuissance que [l'exécutif] donne s'aggravera encore et il ne pourra plus agir". Il est, de fait, très délicat de reculer maintenant, trois mois après les premières contestations du projet de loi El Khomri, que le gouvernement a toujours défendu bec et ongles –au point de risquer l'éclatement de sa majorité avec l'utilisation du 49-3.
En outre, l'exécutif est persuadé que la CGT va finir par flancher. De fait, avant que ne commencent les blocages, les manifestations contre la loi Travail semblaient s'essouffler. Le 31 mars, entre 390.000 (selon la police) et 1,2 million (selon les syndicats) de personnes étaient descendues dans la rue. Le 19 mai, elles étaient entre 128.000 et 400.000 selon les sources. Une situation bien différente de celle que connaissait le gouvernement de François Fillon en 2010, lors des mouvements sociaux contre la réforme des retraites. À l'époque, le blocage des raffineries était venu appuyer des cortèges de plus en plus fournis.
Mais l'inflexibilité du gouvernement reste une stratégie risquée. "Le temps joue contre lui", analyse Bernard Sananès, président de l'institut de sondage Elabe, au micro d'Europe 1. "Au bout d'un moment, l'opinion bascule. La responsabilité de la pagaille est toujours imputée au gouvernement, que l'on soutienne ou pas le mouvement." Et ce d'autant plus qu'en l'occurrence, sept Français sur dix se disent défavorables au projet de loi Travail.
- Scénario n°2 : En arrière, toute !
Le retrait du texte est toujours l'objectif des organisations syndicales, qui gardent à l'esprit l'exemple du contrat première embauche (CPE) proposé par le gouvernement De Villepin en 2006. À l'époque, sous la pression de la rue, le dispositif, même promulgué, n'avait jamais été appliqué. Une reculade restée dans les annales. Les opposants à la loi El Khomri espèrent bien renouveler l'exploit. Mais cette hypothèse est fermement écartée par l'exécutif. "Il n'y aura pas de retrait du texte, sinon [cela signifierait que] dans ce pays, on ne peut plus réformer", a assuré Manuel Valls mardi sur Europe 1.
" Le gouvernement a déjà perdu la bataille de l'opinion et la bataille politique. "
Néanmoins, il pourrait ne pas avoir le choix. "Le gouvernement a déjà perdu la bataille de l'opinion et la bataille politique. La bataille de l'autorité ? Il n'est pas, pour l'instant, en train de la gagner", observe Bernard Sananès. Certes coûteux en termes d'image, un recul aurait l'avantage de satisfaire l'opinion publique sans laisser s'enliser le conflit. Mais aussi d'éviter tout blocage pendant l'Euro de football, événement sur lequel l'exécutif compte énormément pour redresser à la fois le moral des Français et la situation économique du pays –une étude du Centre de droit et d'économie du sport a ainsi estimé à 1,2 milliard d'euros les retombées économiques de la compétition. C'est aussi une question de sécurité : déjà au bord de la crise de nerf, les forces de l'ordre peuvent difficilement assurer à la fois l'encadrement d'un événement aussi important que l'Euro et partir débloquer des raffineries tous les matins.
- Scénario n°3 : Synthèse hollandienne
"Entre le recul et le retrait, il y a toute une panoplie de sorties", estime Bernard Sananès. Le gouvernement pourrait choisir un compromis : profiter du retour de la loi Travail à l'Assemblée, en juillet, après un examen au Sénat en juin, pour la retoucher. L'objectif n'est pas de convaincre la CGT, qui exige un retrait sinon rien, et ne se laissera pas amadouer. En revanche, l'exécutif pourrait isoler complètement le syndicat en ralliant Force Ouvrière à sa cause.
Pour cela, il lui faudrait faire des concessions sur l'article 2 du texte, qui concerne l'inversion de la hiérarchie des normes. Mercredi, le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux, s'est ainsi dit prêt à regarder s'il y a "une possibilité que la branche donne un avis a priori", et non a posteriori, sur un accord signé au sein d'une entreprise. Ainsi, la branche pourrait, par exemple, bloquer un accord d'entreprise qu'elle juge injuste.
Mais Bruno Le Roux a immédiatement été recadré par Manuel Valls. "Il n'y aura ni retrait, ni remise en cause de l'article 2, car c'est le cœur de la philosophie du texte", a affirmé le Premier ministre mercredi. L'exécutif, qui a déjà lâché du lest sur d'autres points clefs de la loi, comme le plafonnement des indemnités prud'homales, estime que le jeu n'en vaut pas la chandelle. De nouvelles concessions ne lui assurent en rien le soutien de l'opinion publique. "Tout peut bouger, mais ce texte est apparu déséquilibré au détriment du salarié depuis le début", rappelle Bernard Sananès. "Il est très compliqué d'inverser la vapeur quand on a perdu la première manche d'une bataille comme ça."