"La chancelière Merkel et la société allemande dans son ensemble ont été à la hauteur de nos valeurs communes ; elles ont sauvé notre dignité collective en accueillant des réfugiés en détresse." C'était le 2 janvier 2017. Il y a une éternité à l'échelle de l'histoire politique française. Dans une tribune au Monde, Emmanuel Macron saluait la politique migratoire d'Angela Merkel, seule dirigeante européenne à avoir ouvert les frontières de son pays pour répondre à l'afflux de réfugiés.
Quelques jours plus tard, le 10 janvier, celui qui n'était que candidat à la présidentielle tirait une nouvelle fois son chapeau à celle dont il n'était pas encore l'homologue. "Pour les demandeurs d'asile qui obtiennent le statut de réfugié politique, le devoir qui est le nôtre" est d'ouvrir la porte, disait-il alors. Le 23 juin dernier, Emmanuel Macron, président de la République, enfonçait le clou : "Nous devons accueillir des réfugiés, c'est notre devoir et notre honneur."
Collomb et Macron semblent diverger… À l'époque, déjà, ce discours tranchait avec un autre, tenu pourtant par un membre du gouvernement. Ce même 23 juin, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, s'était rendu à Calais pour prévenir qu'il ne fallait surtout pas de "nouveau point de fixation" de migrants, ni "d'appel d'air". Il appelait également les associations sur le terrain à "aller déployer leur savoir-faire" ailleurs. Des termes d'une fermeté extrême, alors que le Défenseur des droits, Jacques Toubon, parlait dans le même temps d'un "déni d'humanité" pour ces migrants qui manquaient de tout, et notamment d'eau. "Au début du quinquennat, on avait ce qui s'apparentait à un double discours", résume auprès d'Europe1.fr Josselin Dravigny, chercheur en sciences politiques et rédacteur en chef de la revue Migrations Société. "D'un côté, le 'good cop' Macron, qui insistait sur l'accueil des réfugiés et une vision positive de l'immigration. De l'autre, le 'bad cop' Collomb, avec une approche sécuritaire."
…pour mieux s'accorder. Six mois plus tard, plus question de penser qu'il coexiste deux lignes divergentes au sein de l'exécutif sur la question de l'immigration. La Journée internationale des migrants, lundi, est l'occasion de dresser un constat : la priorité affichée du gouvernement est désormais d'accélérer les expulsions du territoire, en adéquation avec les déclarations de Gérard Collomb depuis que celui-ci occupe la place Beauvau. Et l'accueil des réfugiés prôné par Emmanuel Macron depuis des mois est passé au second plan. Deux circulaires ministérielles récentes le prouvent.
" On avait d'un côté le 'good cop' Macron, qui insistait sur l'accueil des réfugiés et une vision positive de l'immigration. De l'autre, le 'bad cop' Collomb, avec une approche sécuritaire. "
Une circulaire pour "agir rapidement" contre "l'immigration irrégulière". La première, datée du 20 novembre mais révélée début décembre, exhorte les préfets à "agir rapidement" contre l'immigration irrégulière, notamment en s'occupant des demandeurs d'asile déboutés qui doivent faire l'objet d'une "attention particulière". Autrement dit, pas question de lésiner sur les obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui doivent être "systématiquement" envoyées "dès que possible" après le refus de la demande d'asile. Dans cette circulaire, Gérard Collomb demande des comptes aux préfets, encouragés à assurer un "suivi hebdomadaire du taux de déboutés hébergés".
Le document cible également les "dublinés", ces étrangers arrivés dans l'Union européenne via un autre pays que la France et qui doivent, conformément au règlement européen de Dublin, déposer leur demande d'asile dans ce pays. Elle encourage les préfets à organiser leur réadmission dans leur pays d'arrivée au plus vite.
Des brigades pour recenser les étrangers. La seconde circulaire, signée par Gérard Collomb et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des Territoires, également rendue publique en décembre, a mis en place un contrôle de la situation administrative des personnes en centres d'hébergement d'urgence. L'Etat prévoit de déployer des équipes mobiles d'agents des préfectures et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Elles interviendront dans les structures d'hébergement d'urgence pour évaluer si les individus qui y sont accueillis disposent d'un titre de séjour ou non, comptent faire une demande d'asile ou pas, et sont visées par une OQTF.
Tollé des associations. Cette circulaire a provoqué le tollé de plusieurs associations, notamment Emmaüs Solidarité, le Secours catholique ou encore la Cimade, qui ont saisi lundi le Défenseur des droits. "La loi a défini des principes qui visent à garantir à toutes les personnes et familles en situation de détresse ou en difficulté une aide de la collectivité", soulignent-elles dans une missive à Jacques Toubon. Selon elle, cette circulaire "détourne l'hébergement d'urgence et les lieux d'accueil de leur finalité" en permettant un véritable tri des étrangers, qui constitue "une atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères".
Tentes lacérées et sacs de couchage saisis. Des droits fondamentaux déjà considérablement entamés au quotidien, selon les associations, qui dénoncent les actions erratiques des forces de l'ordre. Bien décidées à empêcher la reformation de camps de migrants, que ce soit à Calais ou dans le nord de Paris, celles-ci ont été accusées d'avoir lacéré des tentes et saisi des sacs de couchage. "Mais la plupart des migrants sont replacés dans des centres d'hébergements", s'est défendu Gérard Collomb lundi matin sur RTL. "Croyez-moi, il vaut mieux être dans des centres en dur qu'être sous des tentes."
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Placement en rétention. Le durcissement de la politique gouvernementale à l'égard des migrants ne s'arrête pas là. Une proposition de loi émanant des Constructifs a été votée au début du mois pour autoriser le placement en rétention des "dublinés" avant de lancer la procédure de réadmission dans leur pays d'arrivée. À ce moment-là, le Défenseur des droits s'était (de nouveau) ému des dispositions de l'exécutif et du "tournant déplorable" pris "en termes de respect des droits".
Projet de loi à venir. La perspective du projet de loi attendu au premier trimestre 2018 sur la réforme du droit d'asile inquiète tout autant le secteur associatif et l'opposition de gauche. Il est prévu de réduire le délai d'examen des demandes d'asile et de recours. Un principe auquel personne ne s'oppose, mais qui pose la question des moyens déployés.
La volonté de doubler la durée maximale de rétention des étrangers en attente d'expulsion, pour qu'elle atteigne 90 jours, est aussi très critiquée par le monde associatif, qui juge une telle mesure aussi dangereuse qu'inutile, la quasi-totalité des renvois de migrants s'effectuant dans les deux premières semaines de détention. Enfin, la notion de "pays tiers sûr", qui permettrait de renvoyer certains migrants dans un pays par lequel ils ont transité, y compris lorsque celui-ci est hors de l'Union européenne, pourrait faire son entrée dans le texte. Or, elle a d'ores et déjà été jugée "incompatible avec le droit d'asile" par Pascal Brice, président de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui s'exprimait en juin auprès de l'AFP.
" [La circulaire sur le contrôle administratif en hébergement d'urgence], même Nicolas Sarkozy n'était pas allé jusque-là. "
Un "traitement toujours sécuritaire" des questions migratoires. "De manière générale, on peut observer un durcissement de la politique migratoire", nous résume Josselin Dravigny. Et cela n'a rien de vraiment nouveau. "C'est dans la continuité de ce qui se fait depuis 2007, avec un traitement toujours sécuritaire de la question", explique le chercheur. "Avant 2007, les politiques en matière d'immigration étaient gérées conjointement par le ministère des Affaires sociales, un peu celui du Travail, et l'Intérieur pour tout ce qui était attribution de visas. Désormais, l'Intérieur a pris le dessus." Selon Josselin Dravigny, la circulaire mettant sur pied les brigades chargées de recenser les situations administratives des personnes en hébergement d'urgence pousse cette logique plus loin que jamais. "L'hébergement est géré par le ministère des Affaires sociales", note-t-il. "Là, le ministère de l'Intérieur met un pied dedans. Même Nicolas Sarkozy n'était pas allé jusque-là."
Une distinction migrants/réfugiés. Mais pour le chercheur en sciences politiques, il ne faut pas y voir une volte-face d'Emmanuel Macron, ni une victoire de la "ligne Collomb". "En réalité, dès sa campagne, Emmanuel Macron avait insisté sur une distinction entre migrants économiques, qu'il faut renvoyer chez eux, et réfugiés, qu'il faut accueillir." Un "et en même temps" destiné à "donner des gages à la gauche ainsi qu'au centre droit, voire la droite conservatrice". Mais qui reste très délicat à manier, selon Josselin Dravigny. "La distinction entre migrant économique et réfugié politique est hautement contestable. Certains individus ont des motivations doubles, voire triples. Aujourd'hui, on a des migrants climatiques, dans quelle case les met-on ? Et quand bien même, la question de la légitimité se pose : en quoi les migrants économiques seraient moins légitimes pour être accueillis ?"