"De quel droit somme-t-on Danièle Obono de crier ‘Vive la France’ ?", s’interroge Libération, dans une tribune publiée vendredi. "Il se passe une chose surréaliste, autour de Danièle Obono, porte-parole nationale de La France insoumise élue députée de la 17e circonscription de Paris", rapporte le quotidien, venant à la rescousse de la nouvelle élue de 36 ans. Par "chose surréaliste", il faut entendre la polémique dans laquelle est empêtrée malgré elle cette bibliothécaire de métier, depuis son passage dans l’émission les Grandes gueules, mercredi sur RMC.
L’origine : une pétition de 2012 et une chanson intitulée "Nique la France"
Pour comprendre la polémique, il faut remonter à 2012. Danièle Obono, ancienne membre de la direction du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) qui a rejoint le Front de gauche, signe à l’époque une pétition de soutien au rappeur Saïdou, du groupe ZEP (Zone d’Expression Populaire) et au sociologue Saïd Bouamama, lancée par Les Inrock. "Les deux hommes sont à l’époque mis en examen (puis relaxés) pour ‘injure publique’ et ‘incitation à la haine raciale’ après la diffusion du clip ‘Nique la France’", qu’ils ont co-écrit, rappelle 20 Minutes, avant de citer un extrait de la chanson : "Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes/Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes".
" Vous signez plus facilement ‘nique la France’ que vous ne dites ‘vive la France’ "
La pétition - signée par la députée mais aussi par Noël Mamère, Clémentine Autain, Eric Coquerel, Eva Joly ou encore Olivier Besancenot - est alors accompagnée d’un texte de soutien "à la liberté d’expression" qui rappelle la "tradition pamphlétaire" française, citant pêle-mêle Léo Ferré, Renaud ou Aragon. "Lorsque des Noirs ou des Arabes font le choix de sortir de l’invisibilité et du mutisme afin de décrire la réalité telle qu’elle est – violente, inégale et destructrice –, la droite extrême, l’extrême droite ou encore l’Etat s’emploient à tenter de convaincre l’opinion publique de l’illégitimité de ces discours", pouvait-on lire sur le texte.
La polémique : la députée assume et refuse de dire "Vive la France"
Mercredi lors des Grandes gueules, Danièle Obono est interrogée sur cette pétition. "En tant que députée, êtes-vous fière d'avoir signé ?", lui demande-t-on. Ce à quoi elle répond : "Pour défendre la liberté d’expression de ces artistes, oui. Parce que ça fait partie des libertés fondamentales". "Vous pouvez dire "vive la France" ?" lui demande alors un journaliste de l’émission. Réponse de l’intéressée : "Je peux dire ‘vive la France’, mais pourquoi, en soi ? Je ne me lève pas le matin en disant ‘Vive la France’ […] "Vous voulez que je me mette au garde-à-vous et que je chante la Marseillaise ?". "Vous signez plus facilement ‘nique la France’ que vous ne dites ‘vive la France’", commente alors un chroniqueur.
Il n’en fallait pas moins pour susciter une pluie de réactions indignées. De la part de groupes classés à l’extrême droite, d’abord, à l’instar du site Fdesouche. Mais l’indignation dépasse rapidement la "fachosphère". "Hallucinant ! La députée France Insoumise défend ceux qui chantent ‘nique la France’ mais hésite à dire ‘vive la France’", s’indigne ainsi sur Twitter le député LR sortant, Thierry Mariani. "Cette Mme Obono (sic) semble ne pas avoir pris la mesure des siècles d’Histoire de France qui la contemplent et l’obligent. Elle veut pouvoir ’niquer la France’ tranquillement ? Alors qu’elle quitte les dorures de la République", renchérit David Rachline, sénateur et maire FN, toujours sur Twitter. "Entendre Nique la France la gêne moins que dire Vive la France. Elle est pas mal l'Insoumise...", ironise, également, le journaliste Jean-Michel Aphatie sur le réseau social.
" Si Ferré pouvait ‘baiser la Marseillaise’ et Renaud ‘tringler la République’, le chanteur de ZEP (même arabe) peut bien ‘niquer la France’ "
La députée reçoit toutefois de nombreux soutiens, de son propre camp, d’abord. "Amitié, affection et respect pour le sang-froid de Danièle Obono, agressée sur les plateaux de télé par des chiens de garde médiatiques qui ne se rendent même plus compte que leur machisme est teinté d'une forme de racisme insupportable", réagit ainsi Jean-Luc Mélenchon sur son compte Facebook. "Je trouve honteux que Danièle Obono soit mise sur le grill sur ce sujet. J'estime que la pétition de 2012 défendait non pas les paroles de cette chanson, mais la liberté d'expression de ses auteurs […] Je comprends totalement que Danièle réagisse comme ça. Vous aimeriez qu'on vous force à dire 'Vive la France', vous ?", argumente également le député de la France insoumise Alexis Corbière, dans L’Express.
Mais le soutien, aussi, s’étend rapidement au-delà du champ politique. "Si Ferré pouvait ‘baiser la Marseillaise’ et Renaud ‘tringler la République’, le chanteur de ZEP (même arabe) peut bien ‘niquer la France’. Si Coquerel, Besancenot ou Eva Joly peuvent (doivent ?) rappeler cette saine évidence, Danièle Obono (même noire) le peut aussi", peut-on ainsi lire dans la tribune de Libération, qui s’interroge sur le fait que les autres signataires (blancs) de la pétition n’aient jamais été interrogés. "Georges Brassens non plus n'aimait pas marcher au pas. Juste mise au point face au déferlement haineux contre Danièle Obono", réagit encore le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, sur Twitter.
"Comprendre ce qu'il y a derrière".Invitée sur RFI vendredi, la députée de Paris Danielle Bono s'est elle même expliquée : "Regretter, ce n'est pas ma démarche, je suis militante politique depuis des années, je veux convaincre avec mes idées. C'est important de défendre les libertés démocratiques, la liberté d'expression, c'est dans ce cadre que j'ai participé avec d'autres à cette pétition. Il faut aller au-delà et essayer de comprendre ce qu'il y a derrière".
Le débat derrière le débat : député, un statut à part ?
Au-delà de la question liée à la pétition de 2012, c’est celle du statut de député que pose la polémique "Danièle Obono" : un député peut-il rechigner à dire "vive la France" ? Etienne Liebig, chroniqueur des Grandes Gueules, résume en ces termes sur le site de RMC : "Il n’y a pas plus Français que moi, il n’y a pas plus amoureux de la France que moi. Mais si tu me demandes de crier ‘vive la France’, je refuse […] Ce qui fait le choquant, c’est qu’elle n’a pas pris conscience qu’elle n’est plus la citoyenne qu’elle était, et qu’elle est devenue une femme politique". "Là où le bât blesse, c'est que la dame en question vient de se faire élire députée. Elle incarne cette France qu'elle rejette, représente ces Français racistes que nous serions", renchérit dans Le Figaro l’essayiste Céline Pina, fondatrice du mouvement Viv(r)e la République.
" La nier est une hérésie, et souhaiter qu’elle disparaisse, une infamie hypocrite "
Mais sur ce point-là également, la réponse est loin d’être unanime. Dans une longue tribune intitulée "Nique la France n’est pas rédhibitoire", le journaliste de Slate Claude Askolovitch appelle à "soutenir" la députée, même si on n’est pas d’accord avec elle. "La députée de la France insoumise Danièle Obono appartient à une école de pensée qui met la colonisation et ce qu’elle a généré au cœur de la crise. On peut être en désaccord avec Madame Obono, la disputer, en détail ou globalement, la soutenir en conscience. Mais la nier est une hérésie, et souhaiter qu’elle disparaisse, une infamie hypocrite. Ce qui la justifie existe, et sans elle, qui en parle ?", écrit-il.
Et de conclure : "Accepter que s’entende au parlement une parole qui récuse les évidences majoritaires, voire les hégémonies fondatrices, n’est pas choses aisée. C’est pourtant la condition de la démocratie. Siégeaient au Parlement de l’Empire allemand des députés d’Alsace qui conspuaient le Reich et le pangermanisme et gardaient fidélité à la France. Siègent au Parlement israélien des députés palestiniens qui revendiquent leur antisionisme et récusent l’État dont ils participent, pourtant, à la démocratie. Siégeaient au Parlement français, dans les années 1920 des élus communistes qui ne votaient pas les crédits militaires, détestaient l’armée et l’idéologie de la victoire, au lendemain de la Grande guerre, et niaient la France blessée et victorieuse autant qu’il était possible".