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PORTRAIT - Jean-Marie Le Pen, une carrière menée avec aplomb mais jonchée de polémiques

Romain Rouillard - Mis à jour le . 5 min

Jean-Marie Le Pen, ancien dirigeant du Front national (aujourd'hui devenu Rassemblement national ndlr), est mort ce mardi 7 janvier à l'âge de 96 ans. L'homme laisse derrière lui une carrière politique bien remplie, notamment par de multiples dérapages qui lui vaudront des passages devant la justice.

Au moment de dresser le bilan de 63 années d’action publique, il est bien difficile de trouver une fonction politique que Jean-Marie Le Pen n’a pas exercée. Dirigeant de parti, conseiller régional, député français, député européen… Le natif de La Trinité-sur-Mer dans le Morbihan en 1928 a presque tout écumé, à l’exception notable de maire et sénateur. Une carrière riche menée avec aplomb et détermination mais aussi jonchée de lourdes polémiques, de phrases chocs et des condamnations qui s’ensuivront. Un parcours qu’il entamera au sortir d’une lourde expérience militaire, acquise lors de la guerre d’Algérie au cours de laquelle il est accusé d’avoir lui-même participé à une vaste entreprise de torture institutionnelle. Ce qu’il niera sans vraiment nier dans diverses interviews accordées ultérieurement.

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Une ascension politique bardée de dérapages  

Dans l’Hexagone, il obtient une première victoire dans les urnes en 1956, époque où les deux prédécesseurs d’Emmanuel Macron, François Hollande et Nicolas Sarkozy, sortaient à peine du berceau. Jean-Marie Le Pen n’a alors que 27 ans mais accède tout de même à la députation au sein du département de la Seine qui regroupait alors la ville de Paris et les trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne). Très vite, le jeune parlementaire épouse les thèses de l’extrême droite jusqu’à prendre les rênes du Front national, parti nouvellement créé, en 1972. C’est le début d’une grande ascension politique. Plaçant l’immigration et l’insécurité au cœur de son discours, il doit tout de même patienter jusqu’en 1984 avant d’obtenir sa première victoire électorale d’ampleur. Cette année-là, la liste FN qu’il dirige pour les élections européennes obtient 11% des suffrages et Jean-Marie Le Pen pousse alors les portes du Parlement européen duquel il ne sortira qu’en 2019.

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À l’échelle nationale, son score de 14,4% à la présidentielle de 1988 prend à revers les sondages mais l'empêche d’accéder au second tour où il refuse d’apporter son soutien à Jacques Chirac. Cette montée en puissance sur le plan politique s’accompagne d’une première vague de polémiques. En 1987, il déclenche un torrent de réactions indignées en considérant l’existence des chambres à gaz, dans les camps d’extermination nazi, comme un “détail” de l’histoire. Jean-Marie Le Pen exprimera ses regrets mais réitérera ses propos à plusieurs reprises. Trois ans plus tôt, il avait évoqué “l’hégémonie tenant à l’explosion démographique du tiers monde, et en particulier du monde islamo-arabe, qui pénètre dans notre pays”, dénonçant un “danger mortel”. Des propos qui lui vaudront une condamnation par la justice. De premiers déboires judiciaires qui ne freinent en rien sa progression dans les urnes puisque son parti recueille 15% des voix lors du scrutin présidentielle de 1995. Au second tour, il refuse de choisir entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, “deux hommes de gauche”, selon lui. 

2002, un séisme sans lendemain 

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Sept ans plus tard, en dépit de turbulences internes dans le parti, Jean-Marie Le Pen et le FN déclenchent le plus gros séisme de l’histoire de la Ve République. Pendant les mois précédant le scrutin de 2002, il mène une campagne axée sur la “tolérance zéro” en matière de délinquance, appelle à constitutionnaliser la “préférence nationale”, à expulser les immigrés en situation irrégulière et à mettre un terme à la politique du regroupement familial. Des thèmes qui trouvent un certain écho, notamment dans l’est de la France, et qui le propulsent, avec 16,9% des voix, au second tour où, victime d’un report massif de voix en faveur de Jacques Chirac, il s’inclinera lourdement. 

En 2007, fortement concurrencé sur ses thèmes de prédilection par Nicolas Sarkozy et malgré son appel à privilégier “l’original à la copie”, le leader d’extrême-droite ne parvient pas à réitérer l’impensable tour de force de 2002 et ne convainc que 10,4% des électeurs, bien loin des 25% recueillis par Ségolène Royal (PS), qualifiée au second tour. Une sanction électorale que d’aucuns attribuent à ses dérapages en série. En 2005 dans l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, il va même jusqu’à considérer que “l’occupation allemande (n’a) pas été particulièrement inhumaine, même s’il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550.000 km²”. La sanction tombe en 2009 : trois ans d’emprisonnement et 10.000 euros d’amende pour contestation de crimes contre l’humanité.

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Des frasques en pagaille qui font douter certains des réels objectifs poursuivis par Jean-Marie Le Pen tout au long de sa carrière. “Ce qui l’a toujours intéressé, ce n’est pas de prendre le pouvoir mais de le parasiter”, écrivait en 2015 Jean-Yves Camus, président de l’Observatoire des radicalités à la Fondation Jean-Jaurès. Un point de vue partagé par plusieurs examinateurs de la vie politique et qui sous-entend une forme d’auto-sabotage à travers une attitude volontairement outrancière et provocatrice. 

Une vie de famille, loin d’un long fleuve tranquille 

Quoi qu’il en soit, ces dérapages conduisent sa fille Marine Le Pen, devenue présidente du FN en 2011, à exclure purement et simplement son père du parti qu’il dirigeait depuis plus de quatre décennies. Une décision actée en 2015 et approuvée par 53% des sympathisants du FN, selon un sondage Ifop. Pour ce vieux briscard de la politique, cet épisode sonne comme un camouflet. Et le conduira à réitérer ses propos sur les chambres à gaz - “un détail de l’histoire” - comme pour se rappeler au bon souvenir du FN d’antan. Celui qu’il a dirigé pendant quatre décennies sur lequel il régnait en maître.  

Cette mise à l’écart acte la cassure entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, chanteresse de la fameuse “dédiabolisation” du FN censée offrir au parti une crédibilité nouvelle en vue de conquérir l’Élysée. “Elle a certaines qualités pour faire de la politique : du cran, de l’allant, de la répartie. Mais elle n’a pas confiance en elle. Cela explique ses fautes. Son côté dictatorial (...) elle ne supporte pas la contradiction. J’étais la seule opposition dans son nouveau FN. C’est pour cela qu’elle m’a viré”, écrivait-il au sujet de Marine dans ses Mémoires en 2019. De quoi mettre en exergue les relations parfois tumultueuses qu’entretenait le “Menhir” avec sa propre famille. Pendant 16 ans, le dialogue avec sa fille aînée, Marie-Caroline, est rompu. En 2002, cette dernière donne sa préférence à Bruno Mégret, grand rival politique de Jean-Marie Le Pen au sein du FN et responsable d’une scission au sein du parti. Un affront que le patriarche mettra des années à pardonner. 

Plus récemment, en 2022, il sort du silence pour critiquer le soutien apporté par sa petite-fille, Marion Maréchal, au candidat Reconquête Éric Zemmour. “Je ne comprends pas que Marion soutienne un inconnu par rapport à la famille, si sympathique soit-il”, déclarait-il au JDD. Un entretien dans lequel il dit également ne pas avoir compris son choix de se retirer de la vie politique pour créer son école dédiée à la science politique (l’ISSEP à Lyon) en 2018. 

En retrait définitif de la vie politique depuis 2019 et la fin de son mandat de député européen, Jean-Marie Le Pen, nona génaire depuis juin 2018, a vu sa santé décliner ces dernières années. En février 2022, il est hospitalisé pour une “forme légère d’AVC” avant d’être admis en urgence à l’hôpital le 15 avril dernier pour un malaise cardiaque. Jean-Marie Le Pen s’éteint le 7 janvier 2025 à Garches dans les Hauts-de-Seine, dans un établissement où il avait été admis il y a plusieurs semaines.