C’est l’article qui fâche. Celui qui concentre l’essentiel des critiques des opposants à la loi Travail. L’article 2 du texte rédigé par la ministre du Travail Myriam El Khomri prévoit la fameuse inversion de la hiérarchie des normes. La version courte, c’est que l’accord d’entreprise primera sur les accords de branche, et ça, plusieurs syndicats, dont la CGT et FO, ne veulent pas en entendre parler. Car en découlent des mesures qui, selon eux, pénaliseront les travailleurs. D'où la journée de grève organisée jeudi et la crise des carburants qui frappe la France. Alors jeudi, Manuel Valls et surtout Michel Sapin ont laissé entendre que, peut-être, cet article pourrait être légèrement modifié, même si sa philosophie devrait demeurer. La reculade peut sembler légère, mais elle pourrait être lourde de conséquences.
>> Carburant : la carte de France des stations où il reste du carburant, c’est par ici
- Qu’ont dit Manuel Valls et Michel Sapin ?
C’est en fait Bruno Le Roux qui a donné le ton mercredi sur LCP. "Je souhaite qu'il y ait une possibilité que la branche donne un avis a priori [et non a posteriori, ndlr] sur l'accord d'entreprise. C'est ce qui est demandé par de nombreux syndicats", a déclaré le patron des députés PS. A la demande du rapporteur du texte, le député PS Christophe Sirugue, un amendement a introduit la possibilité pour les branches professionnelles d’étudier une fois par an l’impact d’un accord d’entreprise sur les conditions de travail. Bruno Le Roux souhaite donc aller plus loin.
Sans aller jusque-là, Manuel Valls et Michel Sapin ont tour à tour semblé ouvrir une porte jeudi. "Il peut toujours y avoir des modifications, des améliorations", a affirmé le Premier ministre sur BFMTV, en précisant toutefois que sur les grandes lignes du texte et notamment l'article 2, il n'est pas question évidemment d'y toucher." Son ministre des Finances a été (un peu) plus loin. "Peut-être qu'il faut toucher à l'article 2 sur des points", a-t-il déclaré sur LCP, même si, a-t-il précisé, " Il n'y aura pas de remise en cause des principes qui sont dans la loi".
- Que dit l’article 2 ?
L’article 2 du "projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs", plus connu sous le nom de "loi Travail", est un article qui vise à réformer le Code du travail sur de très nombreux points. Avec une philosophie générale : une entreprise pourra, en son sein, passer des accords avec les salariés, et ce même si les dispositions prévues dans cet accord contreviennent aux accords passés dans la branche professionnelle à laquelle appartient l’entreprise. C’est l’"inversion de la hiérarchie des normes", dénoncée par les députés frondeurs certains syndicats, dont la CGT, FO, FSU et Solidaires, qui craignent que l’objectif affiché de flexibilité et de coller aux réalités du terrain soit dévoyé au détriment des salariés. Et c’est le point central du texte de Myriam El Khomri.
Car l’adoption de ce article 2 conditionne d’autres mesures du texte. Sans inversion de la hiérarchie des normes, impossible pour une entreprise de ramener la majoration des heures supplémentaires au taux de 10% si l’accord de branche prévoit 25% par exemple. Impossible aussi pour une société de modifier le temps de travail des salariés ou leur rémunération, l’un à la hausse l’autre à la baisse (dans les cas les plus probables, dans le cadre d’un "accord de développement de l’emploi". A chaque fois, il faudrait que l’ensemble de la branche professionnelle, dans laquelle les syndicats sont plus puissants, autorise ces dérogations. Ce qui est difficile à imaginer.
>> Projet de loi El Khomri : ce qu'il pourrait changer pour les salariés, à lire ici.
- Pourquoi le gouvernement paraît fléchir
Si le gouvernement radoucit sa ligne, c’est d’abord pour isoler la CGT. En tenant par exemple de rallier FO à sa cause. Contrairement à la CGT, le syndicat dirige par Jean-Claude Mailly n’a toujours pas fermé la porte à des négociations. "Moi, je n'ai jamais coupé les ponts du dialogue" a encore déclaré le secrétaire général de FO sur France Info mercredi. "Si sur trois ou quatre points clefs de la loi, le Premier ministre acceptait de discuter, les choses pourraient s’arranger", avait-il déjà affirmé le 17 mai au journal L’Opinion.
Bruno Le Roux ne s’est d’ailleurs pas privé mercredi de tendre la main. "Si FO discute, je souhaite que nous ne rompions absolument aucune discussion", a déclaré le président du groupe PS à l’Assemblée. Qui a aussi tenu à marquer la différence entre FO et la CGT. "Je fais la différence entre les centrales syndicales qui soutiennent le texte, celles qui sont opposées au texte, mais qui veulent continuer à essayer d’en discuter, je pense notamment à Force ouvrière, et celles qui sont dans une position aujourd’hui jusqu’au-boutiste de retrait", a-t-il lancé.
- Mais ce n’est pas gagné
Le gouvernement reste toutefois loin de la sortie de crise. D’abord parce que l’inflexion est timide. S’il est prêt à des retouches, ce sera à la marge. "La philosophie de l'article 2, la négociation dans l'entreprise, ça, on n'y touchera pas", a martelé Manuel Valls jeudi sur RMC. Si des modifications sont apportées, elles concerneront probablement le contrôle exercé sur les accords d’entreprise, comme l’amendement Sirugue en son temps, mais certainement pas sur l’inversion de la hiérarchie des normes proprement dite.
Or sur ce point, FO est inflexible. Sur France Info, Jean-Claude Mailly a expliqué clairement ce qui était susceptible de le faire fléchir : "Réécrire complétement cet article 2 en disant 'c'est la négociation de branche qui fixe le cadre, si on n'arrive pas à se mettre d'accord au niveau national patronal et syndical c'est la négo d'entreprise'", a-t-il déclaré. "Ou, deuxième possibilité, puisque le gouvernement n'a qu'un mot à la bouche' favoriser la négociation', qu'il retire l'article et demande aux organisations patronales et syndicales de négocier entre elles sur la manière dont on doit négocier dans ce pays." Et de conclure : "J'ai toujours dit, et je le confirme, tant que le gouvernement ne revient pas sur cet article 2, nous continuerons la mobilisation".