Sans surprise, le Sénat a adopté mardi sa propre version de la révision constitutionnelle. Les sénateurs ont notamment rétabli la déchéance de nationalité pour les seuls binationaux, une mesure que les députés avaient réfutée à l’Assemblée. La droite, majoritaire, a voté pour cette version différente de celle de l'Assemblée, la gauche contre. Au final, 176 sénateurs ont voté pour, 161 contre, et 11 se sont abstenus.
Ce qui change par rapport au texte de l'Assemblée. Sur l'article deux, celui qui concerne la déchéance de nationalité, le Sénat a limité cette mesure aux seuls binationaux auteurs d'actes terroristes et non à tous les Français comme l'avaient décidé les députés, la haute assemblée ne voulant pas créer de cas d'apatridie, quand l'Assemblée refuse toute discrimination entre Français. Sur ce point précis, le point de vue des deux chambres semble définitivement irréconciliables.
Sur l'article 1, celui relatif à l'inscription de l'état d'urgence dans le Constitution, les sénateurs ont modifié le texte de l'Assemblée. Entre autres, ils ont réduit le délai de prorogation par le Parlement de quatre à trois mois. Ils ont également renforcé les compétences de l'autorité judiciaire sous le régime d'état d'urgence. Pour le coup, Assemblée et Sénat pourrait sans doute trouver un terrain d'entente sur cet article 1.
La fin de la révision constitutionnelle ? L'adoption de cette version du texte n’est pas une bonne nouvelle pour François Hollande dans sa quête de révision constitutionnelle. Car les deux chambres doivent adopter la révision selon les mêmes termes avant la convocation éventuelle d’un Congrès, qui doit définitivement entériner la réforme. C’est encore loin d’être le cas. Et cela pourrait bien signifier la fin pure et simple du projet de loi. "Ça ne se joue plus au niveau des chambres, ça se joue dans un bureau, avec le président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux Assemblées", a déclaré devant la presse le chef de file des sénateurs socialistes Didier Guillaume, précisant qu'un rendez-vous est prévu mercredi à l'Elysée.
Les différents scénarios. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. L'exécutif peut choisir de persévérer en mettant la pression sur les parlementaires pour qu'ils se mettent enfin d'accord sur la déchéance de nationalité. Mais d'abord, le résultat est loin d'être garanti. Ensuite, le débat sur la déchéance dure depuis désormais de longs mois, et déchire le PS et ses partenaires. Cette hypothèse est donc peu probable.
François Hollande pourrait alors décider de réduire la révision constitutionnelle à la seule inscription de l'état d'urgence dans la Loi fondamentale. En lui ajoutant éventuellement la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, afin de renforcer l'indépendance de la justice. Une réforme constitutionnelle au rabais qui constituerait une défaite pour le chef de l'Etat.
Enfin, le président de la République peut décider purement et simplement d'abandonner sa réforme constitutionnelle, en rejetant la faute sur le Sénat. Selon RTL, Manuel Valls plaidait pour cette dernière option auprès de François Hollande ces derniers jours. Jean-Michel Baylet, ministre de l'Aménagement du territoire, estimait dès jeudi matin qu'il s'agissait là de l'hypothèse la plus probable. "Si le vote n'est pas conforme [au Sénat ce mardi, ndlr], je ne suis pas sûr qu'il y ait un Congrès", a-t-il affirmé sur France Info. "Franchement, je n'en ai pas parlé avec lui, il ne m'a pas fait confiance en la matière, mais je vois mal le président de la République convoquer le Congrès simplement sur un article."