"Faut-il remettre en cause le droit du sol ? Cette question, incontestablement, peut se poser". Ainsi parlait Nicolas Sarkozy samedi dernier lors d’une réunion avec des nouveaux adhérents des Républicains. "Je suis pour le droit du sol. Nous le garderons", promettait pourtant le candidat Sarkozy lors de sa campagne de 2012. Une évolution idéologique radicale qui s'explique par les circonstances : Alain Juppé le devance toujours dans les sondages et il faut contenir la montée du Front national en vue de la présidentielle de 2017.
Les militants trancheront. Les Républicains vont organiser un "groupe de travail" chargé de plancher sur "le droit du sol", car "aucun sujet n'est tabou", a confirmé lundi une porte-parole du parti, Lydia Guirous. En pleine crise des migrants, l'ancien président est donc prêt à remettre en cause l’un des fondements du pacte républicain. C'est Eric Ciotti, député Les Républicains des Alpes-Maritimes, qui a convaincu Nicolas Sarkozy de se lancer. L'ancien bras droit de François Fillon propose de limiter le droit du sol aux seuls ressortissants de l’Union européenne, alors qu'il est aujourd’hui en vigueur pour tous. Toujours dans son optique de mettre en place davantage de démocratie participative dans "son" mouvement, Nicolas Sarkozy envisage de soumettre cette question aux militants lors d’un référendum interne, avant l’été 2016.
C'est quoi le droit du sol ?
Le droit du sol est la règle de droit accordant la nationalité française à tout enfant né sur le sol français, indépendamment de la nationalité de ses parents. Le droit du sang permet, lui, à un enfant né d’au moins un parent français d'obtenir automatiquement la nationalité française, par filiation.
Marine Le Pen s'en amuse. L'objectif des Républicains est clair, et assumé par Eric Ciotti : "il ne faut pas laisser ce sujet être accaparé par le FN", a affirmé l'élu dans Le Monde. La suppression du droit du sol est en effet la marotte du parti lepéniste depuis des années. Elle figurait notamment dans le programme de Marine Le Pen en 2012. "Mieux vaut tard que jamais ! C'est vrai que [cela arrive] très tard", s'est ainsi félicitée la patronne du FN, dimanche sur BFMTV. En investissant ce terrain, Nicolas Sarkozy sait qu'il donne des gages à son électorat le plus "droitier". Et qu'il peut même séduire quelques uns des électeurs de Marine Le Pen.
La menace Juppé. Autre avantage, pour lui, de cette radicalisation assumée : se différencier d'Alain Juppé. Alors qu'il était jusque là le candidat préféré des sympathisants de droite, Nicolas Sarkozy est désormais devancé par le maire de Bordeaux, selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche. Alain Juppé est en effet, à 42%, la personnalité souhaitée comme candidate des Républicains à l'élection présidentielle de 2017, contre seulement 33% pour Nicolas Sarkozy. S'il s'en défend, le patron de la droite se méfie chaque jour un peu plus de l'ancien Premier ministre. Il était donc urgent de rappeler sa différence. La rupture, c'est Sarkozy, le conservatisme, c'est Juppé.
Pour Fillon, Le Maire et Juppé, c'est non. Si la garde rapprochée du patron des Républicains est montée au créneau pour soutenir la position de leur champion - "je partage cet avis qui est d'ouvrir ce dossier", a notamment affirmé l'eurodéputée Nadine Morano sur Radio J – Nicolas Sarkozy sait parfaitement qu'il va faire grincer quelques dents au sein de sa famille politique. François Fillon a d'ores et déjà fait savoir dans Le Monde qu'il était opposé à tout retour en arrière car"la France est depuis longtemps un pays acquis au droit du sol. (…) On ne rejette pas son histoire". "Alain Juppé n’a pas l’intention de remettre en cause le droit du sol", a poursuivi le député Benoist Apparu, porte-parole officieux du maire de Bordeaux. Bruno Le Maire non plus. Après la question de l'islam, Nicolas Sarkozy – qui se présente pourtant comme "le rassembleur" de sa famille - prend donc de nouveau le risque de rouvrir une fracture idéologique au sein de son parti. Un risque calculé et assumé.