Certains députés de droite veulent le scalp du président Hollande. En tête, Pierre Lellouche, qui a annoncé lundi avoir posé la première pierre d’une procédure en destitution du chef de l’Etat. Dans son viseur, et dans celui qui suivront le député de Paris dans sa démarche, les révélations contenues dans le livre Un président ne devrait pas dire ça… des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, en matière de défense. François Hollande y admet avoir autorisé au moins quatre assassinats ciblés, et consulte des documents classifiés devant ses interlocuteurs. Des publications d'"informations secrètes concernant la sécurité nationale" inadmissibles donc pour certains élus de l’opposition, qui invoquent l’article 68 de la Constitution pour démettre le président. Il y a pourtant toutes les chances que François Hollande aille au bout de son mandat.
- Pas de volonté politique, à droite comme à gauche
Malgré une nette montée de l’exaspération suite aux révélations du livre Un président ne devrait pas dire ça…, personne au Parti socialiste et chez ses alliés ne souhaite à François Hollande l’humiliation d’une destitution. Du côté des adversaires, à la gauche de la gauche comme à droite, personne n’a par ailleurs intérêt à ce que le président de la République soit démis de ses fonctions. Car il est, de par son impopularité record, un adversaire idéal. Mi-octobre, Jean-Luc Mélenchon, volontiers pourfendeur du chef de l’Etat, se prononçait pourtant pour sa candidature, "nécessaire pour la démocratie", disait-il.
Du côté des Républicains, une éventuelle procédure de destitution avait été évoquée fin octobre, déjà par Pierre Lellouche. Mais selon leJDD, Christian Jacob, patron des députés LR, n’avait pas soutenu la proposition de l’élu parisien. "Ce n’est pas à nous d’affaiblir Hollande. Au point où il en est, nous n’aurons pas de meilleur adversaire socialiste que lui…", avait répondu l’élu de Seine-et-Marne. Une stratégie validée en creux par Nicolas Sarkozy quelques jours plus tard. "Le pauvre, d'ailleurs, ce qu'il en reste, on va destituer qui ?", avait lâché l’ancien président de la République le 2 novembre sur France Info.
- Une procédure longue et (très) incertaine
Depuis la révision constitutionnelle datant de février 2007, l’article 68 de la Constitution prévoit que "le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat." C’est une loi organique, définitivement adoptée par le Parlement en octobre… 2014, qui précise les modalités de la procédure. Et, notamment pour éviter sa banalisation, le processus n’est pas simple. Plusieurs étapes doivent être respectées, et pas sûr que, même si elle allait au bout, l’action de Pierre Lellouche et de ses camarades puissent aboutir avant la fin du mandat de François Hollande.
Etape 1 : Des parlementaires signent une proposition de résolution
C’est cette phase qui a été engagée par Pierre Lellouche. Pour que le processus soit lancé, il faut qu’un dixième des sénateurs (35) ou des députés (58) signent une proposition de résolution, motivée sur le fond, pour réunir la Haute Cour, l’organe qui pourra trancher au final. En l’occurrence, puisque Pierre Lellouche est député de Paris, il doit collecter la signature de 57 de ses collègues. Rien d’impossible en théorie, puisque les Républicains et l’UDI comptent 225 députés. Mais les états-majors n’étant pas favorables à la destitution de François Hollande, cette première étape elle-même s’annonce compliquée.
Etape 2 : Passage par le Bureau de l’Assemblée et la commission des Lois
La proposition de résolution, si elle comporte le nombre de signatures suffisant, est transmise au Bureau de l’Assemblée nationale, composé de 22 membres, représentatifs de la composition politique de l’hémicycle. Si l’instance, chargée de l’organisation et du fonctionnement de la Chambre, juge le texte conforme, elle le transmet à la commission des Lois. Les 82 élus qui la composent étudient à leur tour sa conformité, et décide alors d’adopter ou de rejeter la résolution. Ces deux étapes doivent être conclues avant la fin de la session parlementaire actuelle, prévue pour la fin février 2016. Faute de quoi, il faudra attendre la réunion de la prochaine Assemblée nationale. Or, entretemps, auront eu lieu les élections présidentielle et législatives. Et il est possible (probable ?) que François Hollande ne soit déjà plus à l’Elysée.
Etape 3 : adoption par les deux chambres
Si d’aventure les deux étapes précédentes aboutissent en temps et en heure, alors les députés doivent adopter la proposition de résolution, qui ne peut être amendée. Loin d’être évident, puisque pour rappel, et malgré la présence de frondeurs, près de 350 députés, sur 577, sont plutôt classés à gauche. Dans les 15 jours suivant une éventuelle adoption, le Sénat doit à son tour valider le texte.
Etape 4 : Réunion de la Haute Cour et "procès" du Président
Dans le cas (très improbable) où le Parlement, via ses deux chambres, adopte la résolution avant la fin février, la Haute cour se réunit. Son bureau d’abord, composé de 22 membres nommés parmi ceux des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. "En s’efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée", précise la loi organique du 21 octobre 2014. L’instance est présidée par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone actuellement. Par ailleurs, une commission constituée de six vice-présidents de l’Assemblée national et de six vice-présidents du Sénat est créée, avec pour mission de rédiger un rapport nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Le président de la République ou son représentant peut être entendu par cette commission à sa demande.
Puis vient le moment du "procès" du président de la République. Dans un temps de parole limité au préalable, seuls les membres de la Haute Cour, le président de la République et le Premier ministre ont le droit à la parole. Et c’est le chef de l’Etat qui aura la possibilité de s’exprimer en dernier. 48 heures seulement après le début des débats, la Haute cour doit trancher par un vote. Si elle décide de la destitution, c’est avec effet immédiat. Et ce serait au deuxième personnage de l’Etat, le président du Sénat, d’assure l’intérim jusqu’aux prochaines élections. Si François Hollande était destitué, c’est donc Gérard Larcher qui deviendrait, pour un temps, le chef de l’Etat.