La tribune signée par Martine Aubry et plusieurs responsables socialistes et écologistes dans Le Monde, mercredi, a appelé des réactions à la mesure de ses attaques. La maire de Lille s'en est pris avec virulence à la politique sociale et économique du gouvernement, fustigeant tour à tour le pacte de responsabilité, la déchéance de nationalité et la loi de réforme du Travail. "Il faut éviter les postures", s'est empressé de répondre le ministre des Finances, Michel Sapin. "C'est une faute politique", a jugé, sévère, le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen. A Matignon pourtant, la musique est différente.
Un affrontement salutaire. Contre toute attente, Manuel Valls est en effet ravi. Le Premier ministre aurait pourtant des raisons de s'agacer. Martine Aubry le cible plus encore que François Hollande, s'en prenant explicitement à ses propos tenus en Allemagne il y a deux semaines. Lors d'un déplacement dans un centre d'accueil pour réfugiés, le chef du gouvernement avait en effet déclaré que "l'Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés". Un "indécent discours" pour Martine Aubry, qui ajoute que "se revendiquer d’une liberté de ton n’autorise pas tout".
Si Manuel Valls ne s'en formalise pas outre mesure, c'est que le Premier ministre est un bagarreur qui veut en découdre. Pas tant par goût de la castagne ou de la provocation, mais bien parce que le locataire de Matignon estime que l'affrontement avec Martine Aubry sera salutaire. La tribune de la maire de Lille est une remise en cause globale de sa politique ? Tant mieux, répond le chef du gouvernement, qui assume totalement la fracture entre deux gauches et va jusqu'à trouver la situation passionnante.
S'éloigner de François Hollande. En réalité, Manuel Valls reprend sa liberté. Car le Premier ministre ne croit plus en François Hollande. Le fossé s'est creusé entre les deux hommes sur la loi El Khomri, très critiquée à gauche. Alors que Manuel Valls l'assume et la promeut haut et fort, le président, lui, n'en a pas dit un mot. Et tandis que le remaniement, en consacrant l'arrivée d'écologistes au pouvoir, ressemblait à une tentative de rassemblement de la gauche, le Premier ministre s'empressait, quelques jours plus tard seulement, d'évoquer lors d'un meeting la coexistence de deux gauches "irréconciliables". Plus François Hollande apaise, plus son chef du gouvernement clive.
"Deuxième gauche". Manuel Valls reste certes loyal. Mais se distinguer lui permet de se préparer au cas où François Hollande renoncerait à être candidat à sa propre réélection. De fait, l'inversion de la courbe du chômage, à laquelle le président a conditionné sa candidature, semble compromise. En dépit d'une baisse du nombre de chômeurs début 2016, beaucoup de voyants économiques sont au rouge. Gagné par le doute sur l'avenir politique du chef de l'Etat, Manuel Valls envisage de se lancer lors d'une éventuelle primaire. Et cherche donc à incarner la "deuxième gauche" de 2016, sur le modèle de ce qu'avait pu faire Michel Rocard dès 1977. Reste à savoir si le Premier ministre actuel réussira là où le Premier ministre de François Mitterrand a échoué : accéder à l'Elysée.