Le malaise s'agrandit au sein de l'entourage d'Emmanuel Macron. Après les remous provoqués au sein de la majorité par la tonalité jugée trop répressive de la loi Asile et immigration, une note confidentielle adressée à l'Elysée et révélée samedi par Le Monde appelle à un rééquilibrage social de la politique de l'exécutif.
Détail embarrassant pour le gouvernement, cette note intitulée "Renforcer la dimension émancipatrice de l'action gouvernementale", et envoyée le 4 juin, a été rédigée par Philippe Aghion, Philippe Martin, et Jean Pisani-Ferry, trois économistes qui ont directement inspiré le programme d'Emmanuel Macron.
"La crainte d'un recentrage à droite". Dans ce texte, les trois intellectuels remarquent que "l'ambition émancipatrice (...) du programme présidentiel échappe à un nombre grandissant de concitoyens, y compris parmi les plus fervents supporteurs de 2017". "Le thème de la lutte contre les inégalités d'accès, qui était constitutif de l'identité politique du candidat, est occulté", alertent-ils.
Et de s'inquiéter d'une possible droitisation du quinquennat. "Beaucoup des soutiens du candidat expriment la crainte d'un recentrage à droite motivé par la tentation d'occuper le terrain politique laissé en friche par un parti Les Républicains en crise", écrivent les économistes. Alors que les réformes économiques sont portées par les ministres de droite Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, les signataires regrettent que "les ministres 'politiques' sont étiquetés à droite et que le message social peine à trouver une voix forte à l'intérieur du gouvernement".
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Philippe Aghion, Philippe Martin, et Jean Pisani-Ferry reconnaissent pourtant que "des mesures importantes ont été mises en oeuvre", citant notamment le dédoublement des classes de CP ou encore la réforme de la formation professionnelle. Mais, notent-ils toutefois, la réforme de l'assurance chômage, par exemple, "n'est pas à la hauteur des ambitions initiales".
Ils appellent à ralentir sur la suppression de la taxe d’habitation. Ils proposent donc plusieurs pistes, comme l'introduction d'un bonus-malus sur les contrats courts, taxer davantage les grosses successions, appellent à ne pas réduire la prime d'activité et estiment "important de se montrer aussi audacieux dans la lutte contre les rentes et les privilèges d'en haut que dans le combat contre les corporatismes d'en bas". "Le président de la République doit parler de la question des inégalités et ne pas laisser ce débat à ses adversaires", écrivent ils.
Les économistes invitent également le président de la République à "étaler davantage la suppression de la taxe d'habitation dans le temps". Les effets d'une telle mesure "en matière d'incitation productive ne sont pas avérés (...) ses effets redistributifs vont plutôt dans le mauvais sens, et enfin cette mesure ne devrait pas avoir d'effet de relance de demande significatif", préviennent ils. Ils proposent donc "d'en différer la mise en oeuvre pour la coupler avec une réforme de la fiscalité locale et l'introduction d'une taxe foncière progressive".
Comme le rappelle Le Monde, ce n'est pas la première fois que ces économistes sortent du bois pour protester contre la politique gouvernementale. Le 30 mai, dans Alternatives économiques, Philippe Aghion avait déjà fait part de sa crainte que le "macronisme" ne se transforme "en néo-giscardisme". En janvier, Jean Pisani-Ferry avait, lui, signé une tribune dans Le Monde, intitulée "M.Macron, votre politique contredit l'humanisme que vous prônez", pour contester la politique migratoire du gouvernement.
Interrogé par Le Monde, l'Elysée assure avoir reçu le texte mais nie l'avoir commandé. La note "a été lue avec attention mais elle ne présage en rien la politique du gouvernement", ajoute un conseiller.
Une majorité de plus en plus tiraillée. Reste que la note en question est le dernier épisode d'un feuilleton qui commence à durer. En effet, de plus en plus de voix au sein de la majorité s'élèvent pour demander "plus de social". Le 13 mai, dans le Journal du dimanche, la présidente LREM de la commission des Affaires sociales Brigitte Bourguignon estimait que "les quelques mesures phares sur le social n'ont pas été suffisamment expliquées et revendiquées", et appelait à un virage du quinquennat, alors qu'une aile sociale tente de se constituer au sein du groupe majoritaire.
Le même jour, dans les colonnes du Parisien, l'ancien Garde des Sceaux François Bayrou notait également que les mesures sociales "n'ont pas été mises en valeur dans le cadre d'un projet social assumé et cohérent", ajoutant que "ce qui a percuté l’opinion, c'est l'autre volet, l'ISF et la baisse inopportune de l'APL".