Les lenteurs de la campagne française de vaccination contre le Covid-19 interrogent jusque dans les plus hauts rangs. La semaine dernière, Emmanuel Macron se serait agacé en Conseil de défense du retard pris par la France par rapport à ses voisins européens, demandant à ce que l'on accélère le rythme. Pour Chloé Morin, politologue associée à la fondation Jean Jaurès et spécialiste de l'opinion publique, la responsabilité en incombe notamment à la pesanteur de la haute administration française. "On vit depuis un an une crise des modes d'action et de décision publique", pointe-t-elle lundi, au micro d'Europe Matin.
"On s'est rendu compte depuis quelques mois qu'il y a beaucoup de dysfonctionnements, d'inerties, de paralysies dont la source se trouve dans l'administration", explique Chloé Morin. Dans l'administration française, "il est très difficile de savoir qui fait quoi, qui est responsable de quoi, si l'on a tiré les conclusions des erreurs passées, et si l'on a changé ce qu'il fallait changer"
Cette spécialiste dénonce notamment une dissolution du sentiment de responsabilité en raison de la complexité et de l'intrication du système administratif français, mais aussi un manque de sanctions. "Il n'y a pas de volonté de nuire, l'immense majorité des fonctionnaires sont des gens très compétents dans leur domaine. Il s'agit d'une problématique collective et de culture : quand vous faites une erreur, ça n'a pas de conséquence sur votre carrière", relève Chloé Morin qui a publié Les inamovibles de la République aux éditions de l'Aube.
"Ceux qui prennent le moins de décisions font les meilleures carrières"
Elle cite notamment le récent rapport de l'enquête sénatoriale sur la première vague du Covid-19 en France, rapport dans lequel Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, est mis en cause quant à la gestion du stock stratégique de masques. "Il aurait influencé une autorité administrative indépendante pour qu'elle modifie une rapport dans un sens qui lui était plutôt favorable", rappelle la politologue. "Et cela n'a eu aucune conséquence [...] Pourquoi il n'y a pas eu de débat ? Le Sénat pose des questions, il faut y répondre", s'agace-t-elle.
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"Le vent dominant, c'est de prendre le moins de risques possible, d'éviter de prendre des décisions, et ce sont ceux qui prennent le moins de décisions qui font les meilleures carrières", raille Chloé Morin. Une situation d'autant plus préoccupante que l'administration n'est pas soumise aux mêmes règles de renouvellement que la classe politique. "Les responsables politiques passent, parce qu'ils sont soumis au débat démocratique, alors que la haute administration reste et imprime sa marque".