Quel est le point commun entre Vincent Van Gogh et 2% de la population française ? Selon certains spécialistes, le peintre, comme 1,3 million de Français (chiffres de l'association Argos), souffrait de troubles bipolaires. Une Journée nationale est consacrée à cette pathologie mercredi. Comme dans 25% des cas, le génie hollandais a fait une tentative de suicide, qui pour lui s'est révélée fatale. Vincent Van Gogh est mort jeune, à 37 ans. Mais ses problèmes mentaux sont apparus dès sa jeunesse. Et s'il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur cette "maladie mentale" répertoriée par l'OMS, les spécialistes s'accordent sur une chose : plus les troubles sont repérés tôt, plus on peut les contenir.
Les troubles bipolaires, qu'est-ce que c'est exactement ? Tout le monde subit des variations d'humeur, plus ou moins intenses. Mais certains patients ont des variations beaucoup plus importantes. La bipolarité en tant que maladie se distingue en ce qu'elle nécessite un traitement, car les sauts d'humeur peuvent conduire à une hospitalisation, voire au suicide. Anciennement appelée "psychose maniaco-dépressive", cette pathologie se traduit par une alternance entre deux "phases", dites "ascendantes" et "descendantes", d'exaltation et de dépression. Chacune peut durer plusieurs mois, avec parfois des périodes de répit plus ou moins longues entre les deux.
Pourquoi les parents ont-ils un rôle important à jouer ? En moyenne, les troubles bipolaires mettent trois à huit ans à être diagnostiqués. Car personne n'est véritablement parvenu à en trouver la cause. Les scientifiques parlent de facteurs 'biopsychosociaux' : il y a potentiellement une partie génétique, une partie psychologique et une partie environnementale. Selon une étude parue en 2005 dans La Revue du Praticien, il faut consulter quatre ou cinq médecins avant de se faire prescrire un traitement adapté. Dans ce cadre, les parents ont un rôle important à jouer pour aider les médecins au diagnostic. La maladie apparaît souvent pendant la jeunesse, entre 15 et 25 ans. Or, les parents, et plus largement les proches, sont les premiers témoins de l'évolution du comportement d'un éventuel bipolaire. Ils sont donc les premiers à pouvoir repérer tôt la maladie.
Comment repérer un bipolaire ? Qui dit cause inconnue, dit diagnostic difficile. Mais certains indices peuvent tout de même vous mettre sur la voie. Il s'agit avant tout de faire particulièrement attention à tous comportements anormaux, à toute variation d'humeur. Chez les jeunes, la bipolarité commence souvent (mais pas tout le temps) par la phase descendante. Au micro d'Europe 1, Marie-Aude, bipolaire, décrit cette phase : "J'étais au fond du gouffre. Tout était très sombre. Le canapé et moi on ne faisait qu'un. On se dit qu'on ne sert à rien. On se dit : 'une personne de plus ou de moins sur terre, ça ne change pas grand-chose'". En clair, si vous voyez un proche scotché au canapé durant des jours, ou qui ne daigne absolument pas sortir de son lit, il faut le surveiller de près. Une hypersensibilité ou une forte dépendance affective peuvent aussi constituer des signes précurseurs. Plus la personne développe ces symptômes jeunes, plus il y a des chances que cela soit des troubles bipolaires : la dépression, par exemple, est plus courante à l'âge adulte.
" On a plein d'idées, plein de projets, le cerveau en pleine ébullition "
La phase ascendante, elle, se traduit par une exaltation hors norme. Cela peut se voir au travers d'une hyperactivité marquée, d'achats compulsifs (du type deux voitures en une seule journée), d'une sociabilité excessive, d'une sur-réaction à certains évènements ou d'une recherche insatiable de sensations fortes par exemple. "On se sent très très bien. On ne se rend pas compte que l'on est malade. On a plein d'idées, plein de projets, le cerveau en pleine ébullition. Tout va très vite. On dort deux heures par nuit mais on a une pêche d'enfer. Il y a un côté extrêmement créatif, avec des projets complètement fous qui nous paraissent réalisables", témoigne Marie-Aude.
Au-delà des sauts d'humeur, certains comportements physiques peuvent aussi constituer des indices : insomnie (ou au contraire, hypersomnie), hyperphagie (manger des quantités énormes), refus de se mouvoir, de parler, mais aussi problèmes avec la justice, avec l'alcool, conduite à risque, crises de violence… N'hésitez pas à tout noter et à en faire un compte-rendu complet à votre médecin. Et même si aucun lien génétique n'est prouvé, le comportement des proches peut influer sur l'enfant. S'il y a, dans la famille par exemple, une personne atteinte de forts troubles mentaux, surveillez particulièrement votre enfant.
A quoi peut servir ce repérage ? Un diagnostic précoce permet de prendre en charge plus tôt le malade. Cela empêche une montée en puissance de la maladie et diminue donc le risque de suicide. En outre, plus la maladie est atténuée vite, moins longtemps le patient vivra avec des "comorbidités somatiques". Il s'agit, en quelque sorte, de dommages collatéraux "physiques" de cette maladie "mentale", qui diminuent l'espérance de vie de 10 à 20 ans : hypertension artérielle, obésité et diabète par exemple. Reste une question : comment la prendre en charge ?
Il existe toute une panoplie de traitement. Aucun ne constitue un remède miracle mais tous permettent de mieux vivre sa maladie, voire de prolonger plusieurs années les périodes de "répit". Il existe des médicaments, comme certains neuroleptiques ou même certains anticonvulsifiants, qui atténuent les manies et les risques de rechute. Il existe aussi certaines thérapies psychiatriques, dites "cognitivo-comportementales, "interpersonnelles" ou "psycho-éducatives". Mais tous ces traitements doivent être accompagnés d'un suivi clinique minutieux. Vous devez impérativement aller voir un généraliste ou un psychiatre spécialiste au préalable. Et si vous hésitez sur la personne à consulter, plusieurs associations existent pour vous guider, comme Clubhouse France, Argos 2001 ou même France dépression.
Selon Marie-Aude, toutefois, la médecine ne peut pas tout. "Moi cela fait six ans que je suis dans une phase de 'répit', car j'ai appris à mieux me connaître. S'accepter, se soigner, se battre, s'entourer : c'est très important d'avoir ces quatre choses en tête". Pour parvenir à remplir ces quatre objectifs, activités et environnement comptent autant que le reste. "Au-delà des médicaments et des consultations, des choses comme le yoga ou le sport peuvent aider", témoigne Marie-Aude. Et de conclure : "Si je vais mieux aujourd'hui, c'est parce que j'ai pris les moyens pour. Je fréquente une association (Clubhouse France). J'ai un réseau social et amical. C'est primordial".