Peut-on "faire de la qualité à moindre coût" en gérant des maisons de retraite médicalisées privées ? L'émission Envoyé spécial, diffusée jeudi soir sur France 2, pointe de graves carences dans les soins apportés aux résidents, dans plusieurs établissements des groupes Orpéa et Korian.
Témoignages et images en "caméra discrète". L'enquête "Maisons de retraite, derrière la façade" de Julie Pichot, Xavier Deleu et Vincent Liger, se base sur plusieurs témoignages de proches de personnes âgées et de membres du personnel parfois anonymisés, ainsi que sur des images filmées en "caméra discrète", dans plusieurs Ehpad.
"Prise en charge défaillante". Tourné en quatre mois, ce reportage produit par la société CAT et cie fait ainsi état de la détresse d'une femme, révoltée de n'avoir pas été prévenue de l'agonie de sa mère "laissée comme un animal sur un lit d'hôpital", dit-elle, et morte un lendemain de 1er mai aux urgences. Un homme dénonce de son côté la "prise en charge défaillante" de sa mère, âgée de 94 ans et atteinte de la maladie d'Alzheimer, dans la même maison de retraite du groupe Orpéa, proche de Strasbourg, où le séjour est facturé 3.500 euros par mois. Des images filmées à l'aide d'un téléphone portable en 2015 et 2016, le montrent cherchant du secours dans des couloirs déserts après la chute d'une personne âgée ou encore mettent en scène des résidents très dépendants, assis devant une assiette pleine mais incapables de manger, faute d'aide.
"Course au profit". Le reportage attribue ces situations à une "course au profit" amenant les groupes Orpéa et Korian, qui ont respectivement dégagé près de 90 et 163 millions d'euros de bénéfice net l'an dernier, à ne pas embaucher suffisamment de personnel soignant et à économiser sur tout, des couches aux repas. Et cela, afin d'atteindre "un taux de marge proche de 30%" affirme, sous couvert d'anonymat, un ex-directeur d'un établissement Orpéa. Une ancienne aide-soignante du groupe Korian cette fois, qui conteste devant les Prud'hommes son licenciement, fin 2016, pour "insubordination" (elle n'avait pas respecté le quota de trois couches par jour et par résident, affirme le reportage), dénonce elle, une "robotisation de la prise en charge des personnes âgées".
Le patron d'Orpea se targue d'"un taux de satisfaction" de 87%". Interrogé par la réalisatrice lors de la dernière assemblée générale des actionnaires d'Orpea, sur un "manque de personnel" dans ses établissements, le directeur général Yves Le Masne affirme "assumer l'imperfection" et se targue d'un "taux de satisfaction de 87%" parmi les familles des résidents. Ni Orpéa ni Korian, qui gèrent chacun plus de 30.000 lits en France (dans des maisons de retraite mais aussi des cliniques spécialisées), n'ont répondu aux demandes d'interview, selon Julie Pichot.