Il ne sait plus s'il était dans un hôtel ou dans un restaurant, mais Yves Meyer se souvient qu'il se trouvait à Palavas-les-Flots lorsqu'il a entendu, à 16 ans, l'Appel d'un général encore peu connu. Ce 18 juin 1940, alors que Charles de Gaulle s'exprime depuis Londres, l'adolescent de 16 ans est avec sa famille dans cette station balnéaire de la côte méditerranéenne. Ils sont agglutinés autour d'un petit poste de radio. Le jeune homme ne sait pas encore que c'est pour lui le début d'une aventure qu'il raconte avec encore de nombreux détails, 80 ans après, au micro d'Europe 1.
"Il y avait des discours de tous les côtés", se remémore le nonagénaire. À l'époque, le général Charles de Gaulle est encore loin d'être cette figure tutélaire de la France. "Il y avait des quantités de généraux !", replace Yves Meyer. "Celui qui comptait, c'était Winston Churchill." Pourtant, la famille est convaincue : "On a trouvé très bien qu'il y ait quelqu'un qui veuille que la France continue ! Il fallait résister et continuer à se battre. Moi, je ne comprenais pas qu'on arrête les hostilités. Il fallait partir en Afrique du Nord. C'était ce que je pensais, ce que ma famille pensait également."
Le maquis avec des cuistots, des croupiers…
À cette époque, la voie d'Yves Meyer est encore incertaine : "Je voulais être pilote, mais à mon âge, personne ne voulait de moi et je n'avais pas de formation militaire", explique-t-il. "Après Palavas-les-Flots, on a rejoint Marseille, où j'ai retrouvé mon entreprise et où j'ai été réengagé après avoir été licencié à Bordeaux." Pourtant, il entre rapidement dans la Résistance : "J'ai signé un engagement dans les Forces françaises libres. On m'a demandé de signer un engagement pour la durée de la guerre plus trois mois, ce que j'ai fait très volontiers. Il fallait aussi jurer fidélité à de Gaulle, mais j'ai refusé de le faire parce que je ne voulais pas jurer fidélité à un homme, pas plus à de Gaulle qu'à Pétain."
" Un Allemand a ouvert le feu avec sa mitraillette et j'ai eu le veston traversé, sans une égratignure "
C'est ensuite, pour Yves Meyer, l'entrée dans la Résistance active à l'Occupation et aux Allemands : "On sifflait les actualités allemandes diffusées entre les films au cinéma et on allait voler les cachets à la préfecture de Marseille", poursuit l'homme de 97 ans. "J'ai organisé un maquis en Savoie, près de Saint-Jean-de-Maurienne, avec l'aide des gens du village et quelques dirigeants qui m'ont donné les moyens de le faire. Il n'y avait personne à l'origine, les gens sont arrivés au fur et à mesure : il y avait de tout dans ce maquis, des cuisiniers, des artistes, des croupiers. C'était vraiment un monde très mélangé."
Viennent ensuite plusieurs arrestations pour autant d'évasions, à Perpignan ou Grenoble. En 1944, il est dénoncé par un agent double qui avait infiltré son réseau de résistance. "C'était un Alsacien-Lorrain qui parlait évidemment très bien l'allemand et qui parlait très bien le français et qui était rentré au service de la Gestapo", raconte Yves Meyer. "Je n'avais pas de moyen de transport, donc je circulais dans la voiture de la Gestapo sans le savoir. On avait un rendez vous à Rouen et là-bas, ils ont fait des arrestations. J'ai couru quand j'ai senti qu'il y avait l'arrestation, je me suis sauvé par les rues et un Allemand m'a rattrapé. Il a ouvert le feu avec sa mitraillette presqu'à bout portant. J'ai eu le veston traversé, sans une égratignure. C'est la chance."
De Gaulle, un comportement "extraordinaire"
Yves Meyer est ensuite déporté le 2 juillet 1944 dans le camp de concentration de Dachau. "Il y avait 900 morts quand on est arrivés", lâche froidement le Résistant. "C'était horrible. Heureusement, j'étais dans un wagon où on avait un projet d'évasion, il y avait beaucoup de Résistants. Il régnait une certaine discipline dans le wagon. Il fallait que la moitié reste debout pendant que d'autres s'asseyaient."
" Qu'il ait eu le caractère pour résister à tout ce à quoi il a résisté, c'était extraordinaire "
Après quelques semaines passées à Dachau, il est transféré dans des camps de travail avant d'être libéré par les Américains en avril 1945. Il est ensuite resté fidèle à Charles de Gaulle. "On a eu de la chance d'avoir de Gaulle", estime finalement Yves Meyer. "Qu'il ait eu ce caractère pour résister à tout ce à quoi il a résisté, c'était extraordinaire. Il a fallu qu'il ait un moral d'acier parce qu'il devait être découragé par moments, quand il avait tout le monde contre lui. C'est un homme étonnant. J'étais un fidèle gaulliste, mais je n'ai jamais voulu faire de politique. Ce n'était pas mon job." Par la force des choses, le sien fut de raconter le maquis, la Résistance et l'horreur de la guerre.