Le procès en appel de l’Angolagate s'ouvre mercredi. Pour mieux comprendre les enjeux de ce nouveau volet judiciaire, retour sur une affaire vieille de presque 20 ans.
Une guerre civile éclate en Angola au début des années 90. Le gouvernement de José Eduardo dos Santos tente de se procurer des armes pour son armée auprès de la France, mais Paris refuse de livrer des armes à un pays en guerre. François Léotard est alors ministre de la Défense et Charles Pasqua ministre de l'Intérieur du gouvernement d'Edouard Balladur.
C’est à ce moment là que se met en place un réseau parallèle entre le gouvernement angolais et l'homme d'affaires Pierre Falcone, proche de Jean-Charles Marchiani et Charles Pasqua. Un contrat est alors signé entre l’Angola, d'un côté, et Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, un homme d'affaires russe, de l'autre, pour la vente d’armes pour un montant de 790 millions de dollars (590 millions d'euros). Ils fournissent l’Angola en munitions, hélicoptères de combat, missiles et mines antipersonnel de 1993 à 1998. L’argent transite alors par des comptes en Suisse, au Luxembourg et au Portugal.
Novembre 1999 : l’affaire éclate au grand jour. Lors d’une enquête sur une histoire de blanchiment d’argent par l’avocat fiscaliste Allain Guilloux, les juges Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez découvrent des liens entre l’avocat, l'homme d'affaires Arcadi Gaydamak et Pierre Falcone.
5 juillet 2000 : Allain Guilloux est mis en examen et écroué pour "blanchiment aggravé". Lors d'une perquisition à son cabinet les enquêteurs trouvent le dossier du milliardaire Arcadi Gaydamak, déjà dans le collimateur du fisc français. Les juges remontent aussi jusqu'à une société de vente d'armes, Brenco International, dirigée par Pierre Falcone, dont Allain Guilloux est le conseiller.
Les investigations des juges Courroye et Prévost-Desprez établiront qu'Arcadi Gaydamak était associé à l'homme d'affaires français Pierre Falcone, pour conclure avec l'Angola, un contrat de vente d'armements, sans avoir reçu d'autorisation de l'État français.
Retour sur les éléments qui ont nourri l’instruction menée par le juge Courroye :
Septembre 2000 : une liste de personnes et sociétés rémunérées par Brenco révèle les noms de Jean-Christophe Mitterrand et Jacques Attali (respectivement fils et ex-conseiller de François Mitterrand) ainsi que du préfet Jean-Charles Marchiani. Des perquisitions suivent, notamment au siège du parti RPF et au conseil général des Hauts-de-Seine présidé par Charles Pasqua, ex-ministre de l'Intérieur. Pierre Falcone est mis en examen, suivi de Jean-Christophe Mitterrand.
25 janvier 2001 : le ministère de la Défense dépose une plainte pour trafic d'armes, la vente à l'Angola n'ayant pas fait l'objet des autorisations nécessaires.
Mai 2001 : Jean-Charles Marchiani est mis en examen, ainsi que Charles Pasqua, qui sera reconnu coupable d'avoir favorisé l'attribution de l'ordre du Mérite à Gaydamak, après le versement par Brenco de 230.000 euros sur le compte de l'Association France Afrique Orient, dont il était vice-président. Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani affirment que cette médaille a été décernée pour le rôle d'Arcadi Gaydamak dans la libération fin 1995 de deux pilotes français détenus en Bosnie.
20 juin : les juges Courroye et Prévost-Desprez demandent la levée de l'immunité parlementaire de Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani. Ils sont, à cette époque, tous deux députés européens.
Juin 2003 : Pierre Falcone est nommé représentant permanent de l'Angola auprès de l'Unesco et obtient ainsi un passeport diplomatique qui lui donne l’immunité. Il est alors libre de quitter la France et de voyager à sa guise.
Une nouvelle qui fait polémique auprès des magistrats :
14 janvier 2004 : La justice ne reconnait pas d’immunité à Pierre Falcone et lance contre lui un mandat d’arrêt.
5 avril 2007 : après sept ans d’enquête, 42 personnes sont renvoyées en correctionnelle, dont Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, ainsi que Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua et diverses personnalités poursuivies pour recel d'abus de biens sociaux.
3 octobre 2007 : la justice lève le mandat d'arrêt de Pierre Falcone qui rentre aussitôt à Paris.
Du 6 octobre 2008 au 11 février 2009 : le procès se déroule devant le tribunal correctionnel de Paris, en l'absence d'Arcadi Gaydamak, qui est en fuite.
27 octobre 2009 : le tribunal prononce 36 condamnations et six relaxes. Jacques Attali figure parmi les relaxés, de même que le magistrat Georges Fenech.
Vingt-quatre condamnés font appel. Parmi eux, Pierre Falcone, qui a écopé de six ans de prison ferme et a été immédiatement écroué, Arcadi Gaydamak (six ans ferme), Charles Pasqua (trois ans, dont un ferme), Jean-Charles Marchiani (trois ans, dont 15 mois ferme), l'avocat Allain Guilloux (trois ans, dont un ferme). Jean-Christophe Mitterrand a été condamné à deux ans avec sursis et le romancier Paul-Loup Sulitzer à 15 mois avec sursis, mais ils n'ont pas fait appel. Idem pour Jean-Bernard Curial, ex-conseiller Afrique du PS, condamné à deux ans avec sursis.
Sur le plateau de France 2, le 27 octobre 2009, Charles Pasqua dénonce "une décision prise à l’avance" :
2010 : Pierre Falcone voit ses demandes de remise en liberté rejetées.
19 janvier au 2 mars : procès devant la chambre 5-13 de la cour d'appel, sous la présidence d'Alain Guillou. Le procès est prévu jusqu'au 2 mars, à raison de trois jours d'audience par semaine. En appel, la défense a cité une vingtaine de témoins, dont Jacques Chirac, Edouard Balladur ou Dominique de Villepin. mais ils ont décidé de ne pas venir. L'ancien président de la République a invoqué dans une lettre à la cour l'immunité du chef de l'Etat pour les actes commis dans le cadre de sa fonction, ainsi que la séparation des pouvoirs.
Les avocats voudraient aussi entendre le juge ayant instruit le dossier, Philippe Courroye, actuel procureur de Nanterre. Le procès sera présidé par Alain Guillou et non, comme initialement prévu, par Christian Pers, magistrat réputé sévère, récemment nommé conseiller à la Cour de cassation.
29 avril : la cour d'appel rend son jugement. Elle n'a pas retenu les faits de trafics d'armes, et les peines infligées s'en trouvent considérablement allégées. Ainsi, Charles Pasqua, condamné à trois ans de prison dont un ferme en première instance, est relaxé. La peine de Pierre Flacone passe de six ans ferme à 30 mois, celle d'Arcadi Gaydamak de six ans ferme à trois ans.