"Dieudonné", "quenelle", "antisémitisme", "liberté d'expression". Ces dernières semaines, l'affaire de la quenelle a pris une ampleur considérable, si bien qu'il est difficile d'imaginer que vos enfants soient passés à côté du sujet. Certains le reproduisent même dans les cours de récré, comment l'aborder avec les plus jeunes ? La question est aussi délicate que le débat qu'elle soulève. Contactés par Europe1.fr, les spécialistes de l'enfance sont formels : pédagogie et neutralité sont à privilégier.
Faut-il en parler aux enfants ? L'affaire de la quenelle fait la Une. Sauf que les enfants n'ont pas toutes les clés pour comprendre la polémique autour de ce geste et, au-delà, des spectacles de l'humoriste Dieudonné. François Dufour, rédacteur en chef du groupe Playbac - Mon petit quotidien, Mon quotidien et L'actu - estime donc qu'il est du devoir des adultes d'aider les enfants à comprendre les enjeux de ce sujet.
"La quenelle de Dieudonné est un sujet dont les enfants et les adolescents ont forcément entendu parler, que ce soit dans la voiture, sur le chemin de l'école, lorsque leurs parents écoutent la radio ; ou alors le soir, devant le journal télévisé. Ce mot est tellement utilisé dans les médias qu'il est de notre devoir d'en parler aux enfants", tranche le rédacteur en chef de ces quotidiens à destination des 6-15 ans.
Un devoir partagé par les professeurs estime Emmanuel Grange qui enseigne l'histoire géographie dans un collège de la Loire. Lui-même a pris l'initiative de consacrer un cours à ce sujet et l'a partagé sur son blog Le web pédagogique. Le milieu éducatif se doit d'"éclairer les élèves sur ce qu’ils entendent et vivent, surtout quand cela peut les mettre en porte-à-faux avec ce que nous leur enseignons."
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A partir de quel âge peut-on en parler ? Pour François Dufour, il faut s'adapter à l'âge de l'enfant. "Avant 10 ans, c'est un peu trop tôt pour aborder ce genre de sujet. A cet âge là, les enfants entendent les informations plus qu'ils ne les écoutent", estime le rédacteur en chef de Playbac. "Avant la préadolescence, il n'y a pas lieu d'expliquer l'idéologie, très controversée, de l'humoriste", abonde Stéphane Clerget*, pédopsychiatre interrogé par Europe1.fr.
Le spécialiste de l'enfance a d'ailleurs pu constater que cette affaire n'interpellait pas particulièrement les enfants âgés de moins de 10 ans. "Je n'ai pas eu de retour d'enfants si jeunes concernant l'affaire Dieudonné. Les seuls qui montrent un intérêt le fond par mimétisme, quand ils sont entourés de grands adolescents", remarque-t-il.
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Que dire sur le geste de la quenelle ? Si votre enfant âgé de moins de 10 ans vous demande pourquoi il est interdit de faire le geste de la quenelle, Stéphane Clerget conseille de ne pas rentrer dans les détails. "Ce qui importe, c'est que l'enfant ne fasse pas la quenelle, mais il est toutefois trop jeune pour comprendre les enjeux de ce geste. Il faut donc simplement lui expliquer que c'est une bêtise, un geste malpoli, déplacé, sans dire en quoi il est déplacé. Les parents peuvent comparer ce geste à un gros mot", recommande le pédopsychiatre.
Comment adapter son discours aux ados ? L'affaire de la quenelle fait appel à des notions complexes, comme l'antisémitisme et la liberté d'expression. Il est donc préférable d'en parler avec des jeunes qui ont déjà évoqué ces notions en classe, c'est-à-dire vers 12 ans, "au moment où l'on peut commencer à aborder des dates, des notions historiques avec l'enfant", estime Stéphane Clerget. "A partir du CM2, les enfants étudient le 20eme siècle. Ils abordent des thématiques comme le nazisme, la guerre mondiale, etc. Une fois arrivés au collège, les adolescents ont l'occasion d'approfondir ces notions. Il est donc possible avec des élèves âgés de 14 ans d'évoquer l'interdiction des spectacles de Dieudonné. Ce thème fait appel à des notions juridiques, c'est pourquoi il faut attendre un peu, que son enfant soit plus mature", conseille le journaliste François Dufour.
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Emmanuel Grange enseigne justement l'histoire-géographie à des élèves de 4ème et de 3ème. Et selon lui, son éclairage sur Dieudonné s'intègre parfaitement dans le programme scolaire. "En tant que professeur d’histoire-géo-éducation civique, cette actualité fait écho à des sujets que j’enseigne au quotidien. Je travaille par exemple avec mes élèves sur l’exercice des libertés en France (4e) et sur l’antisémitisme à travers la montée du nazisme en Allemagne (3e). Bientôt, nous étudierons l’extermination industrielle des juifs et des Tziganes lors de la Seconde Guerre mondiale", détaille-t-il sur son blog.
Pour Emmanuel Grange, il faut donc "connecter" le programme scolaire avec l'affaire Dieudonné. "J’ai expliqué ce qui a nourri la haine des Juifs au cours de l’Histoire (notamment à l'aide de cet article, ndlr) et connecté ce sujet d’histoire à l’affaire Dieudonné. Intégrée dans le cours, je ne fais pas de l’explication de la polémique une activité à part entière. Il ne s’agit pas non plus de faire débattre des collégiens sur le cas Dieudonné. L’idée est de leur apporter un éclairage pour comprendre ce qui y est reproché à Dieudonné dans ses propos, ses actes et leur expliquer que cela l’a amené à être condamné par la justice française", explique-t-il sur son blog.
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Comment rester neutre ? Il s'agit donc d'être le plus neutre et factuel possible. C'est d'ailleurs la posture adoptée par le journal pour adolescents L'actu, qui a fait récemment sa Une sur "Faut-il interdire les spectacles de Dieudonné ?" Plutôt que d'apporter une réponse à cette question, le journal présente à ses jeunes lecteurs les arguments en faveur d'une interdiction du spectacle (troubles à l'ordre public et atteinte à la dignité) et les arguments contre (liberté d'expression, victimisation de l'humoriste). "Il faut montrer aux enfants ce qui fait débat, sans pour autant donner son opinion. Les jeunes doivent se faire leur propre idée", assume le rédacteur en chef.
Tous les mots compliqués, comme antisémitisme, référé, circulaire, préfet, négationnisme, diffamation, sont par ailleurs expliqués dans un encadré à part. "Quand on s'adresse à des préados, il faut utiliser des mots simples, mais précis. Tous les mots compliqués doivent fait l'objet d'un éclairage", abonde François Dufour.
* Le pédopsy de poche, Dr Stéphane Clerget aux éditions Marabout, 446 pages, 5,90 euros.
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