C'est une première en France. Une institution, en l'occurrence le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les femmes, a publié jeudi un vaste état des lieux du sexisme en France. Et, après en avoir parcouru les 134 pages, un constat s'impose : malgré le coup d'accélérateur qu'a représenté l'émergence du mouvement MeToo, les choses continuent d'avancer à petits pas et le "sexisme ordinaire" de prospérer. Et ses premières victimes en restent très largement les femmes. Toutes infractions pénales confondues, 89% des victimes des actes sexistes commis en 2017 sont des femmes et 91% des mis en cause sont des hommes, insiste le rapport.
Autre chiffre spectaculaire : 1,2 million de femmes ont été victimes d'une injure en un an. Pourtant, et c'est également l'un des enseignements de cette étude, les poursuites et les condamnations restent rares dans ce qu'on appellera le "sexisme ordinaire", celui excluant les actes les plus graves, comme les agressions sexuelles ou les viols. Pourquoi ? Parce que les personnes qui en sont victimes semblent avoir intégré la banalisation de ces pratiques. Pourtant, des recours existent, des institutions protègent et des textes sanctionnent.
Dans la rue ou dans les transports en commun
Exprimer son refus ou sa désapprobation. L'agression de Marie Laguerre, l'an dernier, avait mis en lumière un phénomène tristement courant : les insultes et les comportements sexistes dans la rue. La jeune femme, importunée par un homme à Paris avec force allusions sexuelles avant d'être giflée, était devenue le symbole des femmes qui osent dire non au "sexisme au quotidien". Le secrétariat d'État à l'Égalité hommes-femmes, pour qui la lutte contre le sexisme sous toutes ses formes est une priorité, a listé les comportements à adopter en cas de réflexion ou comportement sexiste dans la rue ou dans les transports en commun (exprimer son refus, interpeller les passants ou les usagers, menacer le harceleur, faire semblant de connaître quelqu'un…), mais prend bien soin néanmoins de préciser que ces conseils ne "pourront sans doute pas être utilisés dans tous les cas de figure", "chaque personne et chaque situation étant unique".
Signaler l'acte aux autorités compétentes. Pour faire reculer la "normalisation" des comportements sexistes, il faut aussi en parler. Quand ceux-ci ont lieu dans les transports en commun, les agents ou conducteurs doivent être alertés. En cas d'urgence, les secours peuvent être appelés au 17 ou via le 112 (le numéro d'urgence européen). Par ailleurs, la SNCF et la RATP ont mis en place un numéro d'urgence commun pour les victimes de harcèlement sexuel : le 3117, le 31 17 7 pour les SMS ou via l'application 3117. Le ministère de l'Intérieur dispose par ailleurs depuis novembre 2018 d'un espace dédié sur son site où peuvent être signalées les violences sexistes, que l'on en soit victime ou témoin, via un chat avec un policier ou un gendarme "spécifiquement formé à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et sexistes".
Déposer plainte. Si plus d'un million de femmes sont victimes d'injures sexistes, très peu franchissent le pas de la plainte, par méconnaissance du droit, par peur de ne pas être bien reçue ou par lassitude, aussi. Le rapport du Haut Conseil à l'Égalité explique ainsi que 6% de ces femmes seulement se déplacent au commissariat de police ou à la gendarmerie, et seules 3% des injures font in fine l'objet d'une plainte devant la justice. Résultat : en 2017, la justice n'a prononcé que… quatre condamnations pour injures sexistes.
Prescrit au bout d'un mois, le fait d'avoir proféré une insulte sexiste en public peut pourtant valoir à son auteur 1.500 euros d'amende en cas d'injure non publique et jusqu'à un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende en cas d'injure publique. Par ailleurs, dans les cas d'injure ou de harcèlement sexuel dans les transports, il est essentiel de porter plainte - sans plainte, la police ne pourra mener l'enquête - et rapidement, la RATP effaçant par exemple les images de vidéosurveillance au bout de trois jours seulement.
Pour porter plainte, le plus simple reste de s'adresser au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche, mais vous pouvez également écrire directement au procureur du tribunal de grande instance dont vous dépendez.
Au travail
Alerter ses proches et son employeur. En 2015, un mot a fait son entrée dans le Code du travail. Celui de sexisme, et plus spécifiquement celui "d'agissement sexiste". L'article L.112-2-1 du Code du travail précise ainsi : "Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant".
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes détaille dans une fiche pratique la marche à suivre. Il s'agit d'abord de partager son expérience avec des personnes avec lesquelles vous avez confiance. Cela peut être des membres de votre famille, des amis, des collègues ou des référents désignés par l'entreprise le cas échéant. La deuxième étape est d'alerter les représentants du personnel : délégué du personnel, représentant syndical, membre du comité d'entreprise ou du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail).
Préparer son dossier. Parallèlement à ces démarches, il est important de compiler les preuves actant un comportement sexiste à votre égard. Il peut s'agir d'écrits échangés avec l'auteur des faits, de certificats médicaux et d'arrêts de travail ou de témoignages écrits de collègues.
Le porter en justice. Si votre employeur ne semble pas réceptif à votre demande, vous avez la possibilité de saisir l'inspection du travail, le Défenseur des droits ou de vous rapprocher d'une maison de justice ou de la représentation territoriale d'une organisation syndicale. Enfin, vous pouvez également saisir le conseil des prud'hommes de votre lieu de travail.
Pour les témoins, soutenir et ringardiser. Quand on est témoin d'une scène de "sexisme ordinaire", il n'est pas toujours facile de savoir comment agir. Cela dépend des situations. Néanmoins, quelques bonnes pratiques sont à mettre en oeuvre. Dans les transports en commun, pour venir en aide à une victime, vous pouvez faire diversion, en faisant par exemple semblant de la connaître. Au bureau, ne pas rire de la blague graveleuse de votre collègue est un premier pas.
Et ces actions seront d'autant plus porteuses si vous êtes un homme. "Face à des remarques sexistes, par exemple, les femmes sont souvent mises devant un dilemme. Si elles rigolent, elles cautionnent et si elles ne rient pas, elles s’excluent du groupe. Un homme, lui, ne se verra pas exclu s’il exprime qu’il ne trouve pas ça drôle", expliquait au quotidien belge Le Soir, en 2017, Irene Zeilinger, sociologue spécialisée dans les questions de genre et par ailleurs spécialiste de l'autodéfense au féminin. "Les hommes peuvent s’engager partout, au travail, mais aussi en rue, ou dans les transports en commun où la lâcheté masculine est hallucinante ! Bref, ils peuvent être des vigiles anti-sexisme, pour ringardiser, inférioriser, délégitimer le sexiste, l’agresseur." À bon entendeur !