C'était le 26 novembre 1974. Ministre de la Santé de Valéry Giscard d'Estaing, président récemment élu, Simone Veil monte à la tribune de l'Assemblée nationale. L'enjeu est grave : la ministre présente aux députés son projet de réforme de la législation sur l'avortement. A l'époque, interrompre une grossesse est toujours considéré comme un crime par le Code pénal.
"C'est toujours un drame". Dans son discours prononcé d'une voix ferme, Simone Veil insiste d'abord sur le "caractère d'exception" de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) qu'elle entend légaliser. "Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue", affirme-t-elle. "Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme. Je m'excuse de le faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d'hommes. Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. C'est toujours un drame, cela restera toujours un drame".
"Qui s'en préoccupe ?" Simone Veil prend ensuite la défense des femmes confrontées à une grossesse non désirée. "Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ?", lance-t-elle. "La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites".
Et la ministre d'adresser ces reproches à ses détracteurs : "parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils, ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse, ceux qui, au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient un si grand besoin ?"
"Fours crématoires". S'ensuivent trois jours de débats. Ils seront violents. Dans un Hémicycle qui ne compte que neuf femmes sur 490 députés, Simone Veil encaisse les coups. Les mots de "fours crématoires" et de "barbarie organisée" sont prononcés, des comparaisons avec le nazisme fusent. Des attaques qui touchent d'autant plus la ministre que trente ans plus tôt, elle a échappé aux camps de la mort, où ses deux parents et son frère ont péri.
>> Les fils de Simone Veil se souviennent sur Europe 1 :
Finalement, le 29 novembre 1974, 284 députés contre 189 votent la loi dépénalisant l'IVG. Depuis, la législation a été assouplie à plusieurs reprises. Le délai autorisé est passé de 10 à 12 semaines de grossesse, et l'avortement est désormais intégralement remboursé par la Sécurité sociale. Dernière réforme en date : en janvier dernier, la notion de "situation de détresse" a été effacée de la loi Veil. Désormais, une femme peut avoir recours à l’IVG simplement si elle décide de ne "pas poursuivre une grossesse". Actuellement, environ 220.000 IVG sont pratiquées chaque année en France.
Elle ne s'exprime plus publiquement. A l'occasion de ce quarantenaire, France 2 diffusera mercredi soir un téléfilm, La loi, sur le débat houleux qui a agité l'Assemblée nationale, avec Emmanuelle Devos dans la peau de Simone Veil. Quant à l'ancienne ministre de la Santé, devenue académicienne, elle ne devrait pas sortir de son silence pour participer à l'anniversaire. Simone Veil ne s'exprime plus en public depuis la mort de son mari Antoine.
Sa dernière apparition publique a pu étonner certains : en janvier 2013, Simone Veil s'affiche au côté de son époux dans le cortège de la Manif pour tous contre le mariage homosexuel. A 87 ans, sa popularité reste intacte : Simone Veil est la quatrième personnalité préférée des Français, dans le palmarès établi par l'Ifop pour le JDD en août dernier. Et dans ce classement, elle est la première femme.