Le 8 janvier 1996 reste gravé dans la mémoire collective des Français. Ce jour-là, François Mitterrand s’éteint, huit mois après avoir passé la main à Jacques Chirac au Palais de l’Elysée. Alors que la France n’était pas encore entrée dans l’ère d’Internet et des téléphones portables, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, via la radio et la télévision, mais surtout grâce au bouche-à-oreille.
Dès 8h30, France 2 diffuse un flash spécial :
Ces anonymes avaient entre 12 et 52 ans quand ils ont appris la mort de François Mitterrand. Ils étaient dans leur voiture, chez eux ou dans la cour de récréation, et ont tous réagi différemment en fonction de leur âge, de leur éducation et bien sûr de leur orientation politique. Ils témoignent pour Europe1.fr
Christelle, 27 ans, le coeur à gauche : "Je ne pensais pas qu’il pouvait mourir"
Comment elle l’a appris. "C’était à la fin de la pause déjeuner, au collège. Un élève qui avait déjeuné chez lui, avait vu l’info au 13 heures, et m’a dit "Mitterrand est mort". Cela m'a fait bizarre, c'était le président qui m'avait vu naître ! Je ne pensais pas qu’il pouvait mourir. Je me souviens surtout que ma mère était touchée. Elle est de gauche, et on avait parlé de sa mort, le soir, devant le 20-Heures. Elle est arrivée d’Espagne dans les années 70, et elle avait été très marquée par ce président. Pour elle, une page se tournait".
Ce qu’elle retient de lui. "Pour moi, Mitterrand, c’était cet homme à l’écharpe rouge, qui se promenait sur les quais, avec son labrador. Ce qui m’avait frappée à l’époque, c’était les photos sur son lit de mort (publiées par Paris-Match, ndlr), et puis le secret autour de Mazarine. C’était la première fois que j’avais conscience qu’il pouvait se passer des trucs qu’on ne nous disait pas !"
Françoise, 77 ans, le coeur à droite : "Soulagée pour lui"
Comment elle l’a appris. "J’ai appris sa mort à la radio, j’étais en voiture près de l’école militaire, à Paris. Ma première réaction, en tant que médecin, a été d’être soulagée pour lui. Sa mort n’a pas été une surprise, il était malade depuis très longtemps".
Ce qu’elle retient de lui. "Je n’avais pas une sympathie extraordinaire pour lui. C’était un personnage très ambigu, un peu double. Moi qui suis très sensible aux voix, je n’aimais pas la sienne, un peu méprisante, hautaine. Et je n’ai pas du tout apprécié l’histoire de Mazarine. Mais il avait su aller jusqu’au bout sur la peine de mort. C’était très courageux de sa part. C’était aussi un homme d’une grande culture. Par rapport au Président actuel, la comparaison est très largement à l’avantage de Mitterrand".
Matthieu, 34 ans, mitterrandophile : "c’est le pouvoir qui le maintenait en vie"
Comment il l’a appris. "J’ai appris la nouvelle à la radio, dans ma voiture. Je n’ai pas été étonné du tout, parce que c’est le pouvoir qui le maintenait en vie. Je me suis dit : "il aura quand même réussi à tenir jusqu’au bout". J’étais admiratif de ça. C’était quand même la grande classe, de mourir si peu de temps après avoir quitté le pouvoir".
Ce qu’il retient de lui. "Pour moi, c’était mon président. Je suis né sous Giscard, mais j’avais six ans quand Mitterrand a pris sa place, et aussi loin que je me souvenais, c’était lui le président de la République. Je reste un admirateur de l’homme, même si son bilan est plus mitigé. Le pouvoir corrompt, et il n’a pas échappé à la règle. Mais il avait une vraie stature de chef d’Etat. Il n’y a pas photo avec ses successeurs, en particulier avec le Président actuel".
Thomas, 28 ans, d’une famille gaulliste : "J’ai cru à une blague"
Comment il l’a appris. "J'étais collégien, dans la cour de récréation, et alors qu'on se mettait en rang pour la reprise des cours, le téléphone arabe a propagé : "Mitterrand est mort !" Ma première réaction a été de croire à une blague. Etablissement privé catholique oblige, il n’y a pas de minute de silence dans mon collège. Ma famille, gaulliste, le détestait profondément, comme la plupart des électeurs de droite, il me semble".
Ce qu’il retient de lui. "Une fois adulte, j'étais sans hostilité envers lui. Avec un agacement réel quand j'entendais la mauvaise foi caractérisée habituelle à son sujet chez les personnes de droite de la génération de mes parents. Par la suite, au fil des ans, plus j'en ai appris sur son bilan, plus j'ai eu tendance à avoir de lui une opinion positive".
Anne, 54 ans, mitterrando-sceptique :"Une page qui se tournait"
Comment elle l’a appris. "Je l’ai appris chez moi, en regardant France 2. J’ai vécu sa mort comme une page de l’Histoire de France qui se tournait. Pour moi, c’était la mort de quelqu’un qui a marqué son époque. Je me suis dit : "c’est le dernier grand homme que la France comptait".
Ce qu’elle retient de lui. "En 1981, son élection a suscité un immense espoir, même pour moi qui ne l’appréciait pas beaucoup. Je n’aimais pas sa personnalité, il était arriviste, pas franc du collier. Mais ça ne m’a pas empêché de voter pour lui, en 81 comme en 88. Au final, il a gouverné comme tous les gouvernants, il s’est laissé avoir par le contexte économique et international. Il n’a pas été révolutionnaire du tout. Et puis à la fin, on sentait qu’il n’y était plus. Il aurait dû avoir le courage de partir, comme De Gaulle l’avait fait avant lui".