L'étude. Pourra-t-on un jour reconnaître les vrais souvenirs des illusions ? Une étude d'une équipe internationale de scientifique du Massachusetts Institute of Technology (MIT) laisse espérer un grand pas en ce sens. Dans la revue Science, les chercheurs ont publié les résultats de travaux dignes d'un scénario de science fiction : ils sont parvenus à implanter des faux souvenirs dans la mémoire de souris. Comment ? Pourquoi faire ? Décryptage.
Comment ont-ils fait ça ? Les chercheurs n'ont pas (encore) découvert les secrets de la télépathie. Ils ont tout simplement placé les rongeurs dans une première boite, "A", dans laquelle il n'y avait aucun danger, puis dans une seconde boîte, "B, où ils ont réactivé la mémoire de la boite A en envoyant des pulsions lumineuses sur les cellules de l'hippocampe des animaux. Ils ont, dans le même temps, provoqué un léger choc électrique sous leurs pattes, créant un lien entre cette expérience désagréable et le souvenir réactivé de la boite A. Quand ces animaux ont ensuite été replacés dans la boite A, où rien de néfaste ne s'était réellement passé, les chercheurs ont constaté que ces animaux étaient effrayés. De plus, quand ces souris ont été placées dans un autre environnement totalement nouveau, ces scientifiques ont pu réactiver à volonté les cellules de l'hippocampe associées à ce faux souvenir désagréable de la boite A.
Que s'est-il passé ? L'équipe avait préalablement programmé les cellules cérébrales dans lesquelles se trouvent les engrammes, ces traces laissées dans le cerveau par tout évènement passé, pour qu'elles puissent répondre à des pulsions lumineuses. C'est pour cela que les souvenirs de la boite "A" ont pu être activés en même temps que la sensation désagréable de la décharge électrique. La nature a ensuite fait le reste. "Les humains sont des animaux très imaginatifs et tout comme ces souris une expérience déplaisante peut être attachée à une autre expérience antérieure à laquelle la personne pense au même moment, créant ainsi un faux souvenir", commente le professeur Tonegawa, prix Nobel médecine en 1987.
À quoi sert l'étude ? Cette expérience permet, avant tout, de faire avancer la connaissance du fonctionnement de la mémoire. Selon Xu Liu, l'un des auteurs de cette recherche, le mécanisme de formation de faux souvenirs serait similaire à la méthode d'un psychanalyste faisant ressortir par la persuasion un souvenir enfoui d'une expérience traumatisante dans l'enfance qui est souvent fictive. "La mémoire est en fait très dynamique et est modifiée à chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose", détaille le scientifique. "Quelquefois nous nous en rendons compte, mais la plupart du temps nous n'en sommes pas conscients, ce qui explique pourquoi les gens sont convaincus de l'exactitude de leur souvenir", ajoute le chercheur.
Des applications concrètes ? Les scientifiques inscrivent aussi leur démarche dans le but d'apporter quelque chose à la société. Ils rappellent ainsi, dans leur étude, que nombre de procès ont été troublés par des faux témoignages. En effet, les trois-quarts des 250 premiers accusés aux Etats-Unis blanchis par une analyse ADN avaient été victimes de témoins visuels dont la mémoire des faits était fausse, assurent les chercheurs. Déceler le mécanisme de création des faux souvenirs pourra, espèrent-ils, permettre de départager les vrais témoignages des faux. "Des études sur les humains basées sur le comportement et les techniques d'imagerie par résonance magnétique n'ont pas permis de déterminer les régions de l'hippocampe et les circuits neuronaux responsables de la création de faux souvenirs", explique Susumu Tonegawa, l'un des auteurs. "Ces expériences sur ces souris représentent le premier modèle animal dans lequel la formation de faux et de vrais souvenirs peut être étudiée au niveau des engrammes ".
Toutefois, la route est longue. Car imaginaire et réel se ressemblent au sein du cerveau. "Les données montrent que la mémoire fictive est tout aussi efficace que la vraie mémoire pour déclencher des réponses affectives. Et dans les deux cas, ce sont les mêmes circuits neuronaux qui sont impliqués. La frontière entre le réel et l'imaginaire s'efface", commente ainsi Pierre-Marie Lledo, chercheur en neurosciences au CNRS et à l'Institut Pasteur cité lundi par Le Figaro.
Se débarrasser des faux souvenirs ? "La prochaine étape dans les recherches sur la mémoire se concentrera sur les mécanismes permettant d'effacer de mauvais souvenirs", a également indiqué Xu Liu. Toutefois, il faudra être patient, car les travaux vont continuer à s'effectuer sur des souris. "De telles expériences sur des humains sont éthiquement inconcevables", prévient ainsi Xu Liu.