En pénalisant l'incitation à la maigreur excessive, les députés veulent s'attaquer aux sites "pro-ana", ces sites qui font l'apologie de l'anorexie. Si l'intention est louable, la mesure pourrait s'avérer, en pratique, difficile à mettre en œuvre et serait même nuisible pour les personnes qui expriment leur mal-être sur ces sites. Explications.
Une définition floue. L'amendement voté jeudi par l'Assemblée punit d'un an de prison et de 10.000 euros d'amende ceux qui pourraient "provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé. "Une définition beaucoup trop floue", selon la sociologue Paolo Tubaro, corédactrice d'un rapport intitulé Anamia, sur les jeunes et le web des troubles alimentaires.
"Qui est responsable ?" "Quand on lit l'amendement, il n'est pas du tout évident de savoir qui est responsable. La personne qui héberge le blog ou la personne qui écrit sur le site pro-ana", estime la chercheuse, contactée par Europe 1. "L'objectif n'est pas de sanctionner les jeunes adolescentes qui souffrent d'anorexie mentale et s'expriment sur des blogs" mais de contrer "un certain nombre de messages", par exemple sur les "bonnes pratiques" d'une anorexique", se défend le député PS Olivier Véran, à l'origine de l'amendement. Le parlementaire reconnaît néanmoins "une mise en oeuvre compliquée du texte".
Lieux de parole. Surtout, en voulant interdire les sites "pro-ana", le texte fragiliserait les personnes qui s'y rendent, au risque de les isoler davantage et de les renfermer dans leur mal-être. "Avec nos travaux et nos publications internationales nous avons montré que la répression est inefficace et nuisible, que ces sites web constituent des lieux de parole tout à fait inédits et complexes, parfois sources d’entraide et d’orientation vers le suivi médical de personnes atteintes de troubles alimentaires", rappellent les auteurs du rapport Anamia dans un communiqué.
Rôle d'alerte. "Ces sites sont beaucoup plus ambigus qu'il n'y paraît", explique la sociologue Paola Tubara. "Pendant les entretiens que j'ai menés, une jeune fille m'a confié : sur ce blog (NDLR : qui prônait l'anorexie), j'ai appris que je pouvais mourir mais aussi guérir". Une administratrice d'un forum m'a expliqué comment elle appelait les familles, les amis, parfois même les secours" en cas d'inquiétude réelle pour une jeune fille malade. "Il ne faut pas oublier qu'on manque de structures de soins, Internet peut aider à gérer l'anorexie si la maladie n'est pas en phase critique".
"Utiliser les outils du web". Pour la chercheuse, Internet peut aussi servir de "compensation" aux manques de soins. "Sur ces blogs et forums, on trouve aussi du réconfort", insiste la chercheuse. Plutôt que de punir ces blogs, forums, il faut utiliser leurs outils, notamment la confidentialité offerte par le web, pour établir un contact avec ceux qui s'y rendent", conclut Paola Tubara.
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