S'ils s'accrochent à l'espoir de faire reconnaître la responsabilité des gendarmes du Val-d'Oise dans la mort de leur fils et frère, la famille d'Adama Traoré n'a "plus confiance en la justice". Voilà deux ans que ce jeune homme est mort, le jour de ses 24 ans, lors de son interpellation à Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d'Oise. Ce drame avait entraîné des violences urbaines, qui avaient éclaté pendant cinq nuits dans plusieurs cités de la région parisienne.
Le rappel des faits
Le 19 juillet 2016, vers 17 heures, Adama Traoré et son frère Bagui sont interpellés par des gendarmes de L'Isle-Adam à Beaumont-sur-Oise. Bagui, visé par une enquête pour "extorsion de fonds avec violence", ne bronche pas. De son côté, Adama Traoré, connu pour de petits délits, prend la fuite à plusieurs reprises. Selon sa famille, le jeune homme a pris peur car il n'avait pas ses papiers sur lui. Adama Traoré, qui s'était réfugié chez un homme, est finalement arrêté par les gendarmes, qui effectuent un "plaquage ventral". Cette méthode est régulièrement décriée par les associations, qui constatent sa dangerosité pour l'interpellé. Adama Traoré aurait alors signalé aux gendarmes qu'il avait des difficultés à respirer. Embarqué dans la voiture, le jeune homme menotté présente les premiers signes de malaise durant le trajet, qui ne dure pas plus de quatre minutes. Arrivés à la gendarmerie de Persan, une commune voisine, les gendarmes constatent qu'Adama Traoré s'est uriné dessus, mais qu'il respire. Ils affirment alors l'avoir allongé en position latérale de sécurité (PLS).
Les pompiers sont appelés quelques minutes plus tard. Adama Traoré ne respire plus. Le Samu tente à plusieurs reprises de le réanimer. En vain. Il est déclaré mort à 19h05.
L'annonce tardive du décès à la famille et la communication très contestée du procureur de Pontoise à l'époque avaient contribué au vent de colère soulevé par cette affaire.
L'impatience de la famille
Depuis, si l'affaire a eu un fort retentissement médiatique, la famille Traoré se sent aujourd'hui abandonnée par certains, ciblée par les autorités (plusieurs membres ont eu affaire à la justice depuis), mais toujours sans réponse.
Cela fait donc deux ans que l'enquête pour "violences par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner" et "non-assistance à personne en danger" a été ouverte. D'abord instruit à Pontoise, le dossier a été dépaysé à Paris et confié à un juge d'instruction. Mais la famille, qui continue de réclamer la mise en examen des gendarmes, a l'impression que l'enquête n'avance pas. "La lenteur judiciaire dans ce dossier ressemble de plus en plus à un déni de justice", dénonce Me Yacine Bouzrou, leur avocat. "Deux ans après, les gendarmes n'ont toujours pas été entendus par les juges d'instruction, et encore moins mis en examen. Ils vivent librement pendant que nous, nous attendons la vérité", dénonce Assa Traoré, la sœur d'Adama, interrogée par Le Figaro.
Expertise et contre-expertise
Cette impression est renforcée par le nouveau report, à fin septembre, d'une nouvelle expertise médicale devant permettre d'identifier les causes, très discutées, de la mort d'Adama Traoré.
Pour la famille Traoré, les militaires ont provoqué la mort d'Adama, lors du plaquage ventral pour le maîtriser. Ses proches s'appuient sur une phrase prononcée par l'un des gendarmes face aux enquêteurs de l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) : "Il a pris le poids de nos corps à tous les trois". Cette déclaration reste le seul élément qui sème le doute sur une éventuelle responsabilité des gendarmes, ce qu'aucun indice matériel ne conforte, à ce stade.
Il y a un an en effet, une expertise avait confirmé un décès par asphyxie, en lien avec plusieurs fragilités antérieures, notamment une anomalie cardiaque et une maladie inflammatoire. Sans permettre de résoudre l'inconnue au cœur de l'affaire : la méthode d'interpellation des gendarmes est-elle en cause ? En revanche, l'expertise indique, comme les principaux intéressés, qu'aucun coup n'a été porté par les militaires.
La famille reproche également aux gendarmes de ne pas avoir porté secours au jeune homme de 24 ans après son malaise dans leur véhicule. Et de l'avoir laissé mourir "comme un chien, gisant sur le bitume brûlant de la gendarmerie", en attendant l'arrivée des secours.
Une marche blanche pour maintenir la pression
Samedi, la famille Traoré organise une marche blanche, soutenue par plusieurs partis de gauche (La France insoumise, le PCF, le NPA, Génération.s ou encore Europe Ecologie-Les Verts) ainsi que par les "héros" Lassana Bathily et Mamoudou Gassama. Les proches d'Adama Traoré entendent bien maintenir la pression sur les autorités. Environ 2.000 personnes sont attendues à partir de 14 heures à Beaumont-sur-Oise