Onze jours après la violente agression d'Yvan Colonna, le militant indépendantiste corse condamné pour l'assassinat du préfet Erignac, dans la prison d'Arles, une nouvelle manifestation avait lieu dimanche à Bastia, en Haute-Corse. Au total, 12.000 personnes selon les organisateurs et 7.000 selon la préfecture - près du double du dimanche précédent à Corte - se sont rassemblées avec comme mot d'ordre "Vérité et justice". Et malgré l'appel au calme, la colère a pris le dessus : des affrontements ont éclaté comme la semaine dernière, et des blessés sont à déplorer.
De la tension sur l'île depuis le 2 mars
"Etat français assassin" : le ton a été aussitôt donné dimanche à Bastia lors de la manifestation en soutien à Yvan Colonna. Repris par la foule de quelques milliers de personnes partie sous une pluie fine et froide du palais de justice de Bastia, ce slogan traduisait la tension dans l'île depuis le 2 mars et l'agression de l'ancien berger à la prison d'Arles (Bouches-du-Rhône), qui l'a plongé dans le coma.
"Liberta, Liberta !": capuches sur la tête pour les plus jeunes ou parapluie pour les plus âgés, toutes les générations étaient représentées dans la foule où le noir prédominait et sur laquelle flottaient de nombreux drapeaux frappés de la tête de Maure, ainsi que des banderoles portant le visage de Colonna.
Des échauffourées ont éclaté avec les forces de l'ordre à Bastia.
Crédits : Frédéric Michel/Europe 1
Cinq CRS et un manifestant blessés dans les heurts
La colère a rapidement débordé, dès l'arrivée du cortège à la préfecture, avec des échauffourées entre les forces de l'ordre et 200 à 300 manifestants encagoulés, vêtus de noir et pour certains équipés de masques à gaz : gaz lacrymogènes et canons à eau d'un côté, cocktails molotov et cailloux récupérés sur des voies ferrées de l'autre, les plus modérés avaient été contraints de déserter. Selon la préfecture, vers 18 heures, 5 CRS et un manifestant ont été blessés dans ces heurts. Au même moment, un incendie s'est déclaré à l'entrée du centre des finances publiques de la ville, dont les vitres avaient été brisées par les cocktails molotov.
L'appel officiel à la manifestation était pourtant sobre, demandant "la vérité et la justice pour Yvan, la liberté pour les patriotes et la reconnaissance du peuple corse". Mais pour Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de Corse et ancien avocat d'Yvan Colonna, présent dans le cortège, "il faut aller aujourd'hui au-delà des slogans": "La colère et l'indignation s'expriment", a-t-il concédé auprès de l'AFP, au départ de cette marche, "mais ce qui compte c'est que le peuple corse tout entier est mobilisé contre l'injustice, l'exigence de vérité et au-delà pour une véritable solution politique" entre l'Etat et la Corse.
Gilles Simeoni a pris part à la manifestation.
Crédits : Frédéric Michel/Europe 1
"Les violences sont de la responsabilité de l'État"
Pour Marité Costa, 58 ans, toute cette colère s'explique: "On dit 'les jeunes, c'est des casseurs', mais c'est pas des casseurs, ils se battent", a-t-elle plaidé auprès de l'AFP, avant le départ de la marche : "C'est grâce à eux que ça a bougé". La quinquagénaire fait référence à la décision du Premier ministre Jean Castex de lever le statut de "détenu particulièrement signalé" (DPS) de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, deux autres membres du "commando Erignac" encore détenus sur le continent. Statut qui bloquait le rapprochement des trois hommes dans une prison corse.
"C'est trop tard ! Les Corses ne sont pas dupes. On se fout de notre gueule", a ainsi estimé Antoine Negretti, 29 ans, auprès de l'AFP : "Si il y a des violences, ça sera la responsabilité de l'Etat. En sept ans rien n'a avancé, et en sept jours de violences, les choses ont bougé. La violence est nécessaire". "On voit qu'en sept jours la jeunesse a réussi par la mobilisation à se faire entendre..., mais ce n'est qu'un petit pas, on souhaite plus d'avancées, de dialogue, la reconnaissance de notre peuple", a insisté Lelia Beretti, 27 ans.
La découverte juste avant la manifestation d'un stock "d'environ 300 cocktails molotov dans un espace public de Bastia", annoncée à l'AFP par le procureur de Bastia Arnaud Viornery, avait elle aussi clairement indiqué l'ambiance, malgré de nombreux appels au calme ces dernières 48 heures. "Si l'émotion est légitime, elle ne peut et ne doit conduire à la violence", avaient ainsi estimé quelque 60 maires et élus de Haute-Corse dans une motion.