Il s’en est fallu de peu, dimanche, pour que Bilal Taghi commette un attentat mortel dans les murs même de la prison d’Osny. Peu avant 15 heures, le jeune homme de 24 ans s’apprête à rejoindre la promenade avec les autres détenus de l’unité de prévention de la radicalisation lorsqu’un gardien l’interpelle, étonné de le voir descendre avec sa serviette. Le djihadiste, condamné en mars pour avoir tenté de rallier la Syrie, dissimule sous celle-ci un long poinçon de 20 centimètres, bricolé dans sa cellule. Il s’en servira quelques instants plus tard pour lui asséner neuf coups dans le thorax et le cou. La lame évitera miraculeusement les organes vitaux. Appelé en renfort, un second surveillant, posté à la promenade, est blessé au bras et au visage. Avant d’être neutralisé d’un tir de balle en caoutchouc en pleine poitrine, le terroriste dessine, sur le muret de la maison d’arrêt, un cœur avec le sang de ses victimes.
Une enquête a immédiatement été ouverte pour "tentative d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique en relation avec une entreprise terroriste". Trois autres détenus sont actuellement entendus. Selon Le Monde, les enquêteurs s’interrogent sur une possible attaque coordonnée. L’un des détenus actuellement entendu aurait en effet glissé des débris de miroir sous la porte des deux autres auditionnés.
" Nous sommes en uniforme, nous représentons l’Etat "
"C’est triste à dire, mais on n’est même pas vraiment étonné. On craignait un tel scénario", assure Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint du syndicat Ufap-Unsa. En juin dernier, Larossi Abballa, le djihadiste qui a assassiné un couple de policiers chez eux, à Magnanville, les avait explicitement visés dans son message de revendication. "Je vous appelle à privilégier les policiers, les surveillants pénitenciers (sic), les journalistes […] Ecoutez-moi et mettez bien ça en œuvre", déclarait-il dans une vidéo diffusée sur Facebook Live. "On était sur la sellette bien avant cette vidéo, estime de son côté Thibault Capelle, secrétaire FO à la prison de Fleury-Merogis. Nous sommes en uniforme et nous représentons l’Etat." L’attaque de ce week-end n’a fait que confirmer ses craintes. L’ombre d’Abballa est d’autant plus palpable que le djihadiste a été détenu dans la prison d’Osny.
Dans les coursives des maisons d’arrêt, la tension est montée d'un cran cet été, avec la série d'attentats. Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray ont succédé à Magnanville. Les provocations sont quotidiennes. Insultes, menaces, violences… "Il y a un sentiment d’insécurité grandissant. On craint que ces attaques donnent des idées à d’autres, on se demande à qui le tour…", s’inquiète Pascal Decary, secrétaire CGT à la prison de Lille-Annœullin. A Osny, la pression était montée d’un cran depuis une dizaine de jours, après le transfert de deux détenus particulièrement radicalisés, venant d’autres établissements de la région. "On sentait quelque chose de sous-jacent, le climat était spécial, indique Stéphane Barraut. C’était électrique."
Double menace. Reste que les détenus prêts à passer à l’acte sont de plus en plus difficiles à repérer, maniant à la perfection le double discours, comme le conseille l’Etat islamique. Côté pile, ils cessent d’adopter des comportements et des tenues ostentatoires, font preuve de politesse avec les gardiens, répètent à l’envi qu’ils ont changé, qu’ils "étaient dans l’égarement". Côté face, ils s’enferment dans leurs convictions. Bilal Taghi était, semble-t-il, de ceux-là. Incarcéré depuis mars, il est décrit comme un détenu plutôt discret et facile. A son procès, il avait affirmé ne plus partager les idées de l’Etat islamique. Cela n’avait pas empêché le tribunal de le condamner à cinq ans d’emprisonnement.
Les gardiens craignent également une menace venant de l’extérieur, inspirée de l’attaque de Magnanville. Qu’un terroriste les attaque sur le chemin du retour ou chez eux, qu’il s’en prenne à leur famille. A la maison d’arrêt de Lille-Annœullin, l’inquiétude commence dès le parking. "Il n’y a même pas de grilles, c’est juste une simple barrière que tout le monde peut franchir, s’indigne Pascal Decary. Même l’endroit où on déjeune n’est pas bien protégé, il se trouve à l’avant de la prison, l’entrée peut être facilement forcée."
" On a aucun moyen d’agir "
A la peur, se mêle la colère. Les gardiens se sentent désœuvrés. Le personnel est en sous-effectif alors même que la population carcérale ne cesse d'augmenter. On estime aujourd’hui à quelque 1.400 le nombre de détenus radicalisés dont un peu plus de 300 ont un lien avec le terrorisme. "On sait qu’on est visé mais on a aucun moyen d’agir", s’emporte Thibault Capelle. Impossible, par exemple, d’organiser des rondes à deux.
Les unités dédiées pour les détenus radicalisés – à l’instar de celle où était détenu Bilal Taghi - sont très critiquées. "On enferme ensemble des gens qui veulent faire des attentats et après on s’étonne qu’ils fomentent contre nous", poursuit le surveillant. Cette attaque mettra-t-elle un coup de frein à l’extension de ces ailes spéciales ? Actuellement en cours d’expérimentation dans cinq maisons d’arrêt, le gouvernement prévoit d’étendre le dispositif dans 27 établissements. Et cela, malgré un rapport très critique d’Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Les syndicats doivent être reçus prochainement par la Chancellerie sur cette question.