Vendredi 23 mars 2018, à 10h39, Radouane Lakdim se gare sur le parking du Super U de Trèbes, dans l’Aube. Le délinquant de 25 ans, fiché pour radicalisation, a déjà tué un homme et grièvement blessé un autre à Carcassonne. Arrivé dans le supermarché, Radouane Lakdim abat un employé puis un client avant de se réfugier dans la salle des coffres, où il prend en otage une caissière, Y., comme le relate Libération, qui a eu accès au dossier d’instruction.
"Il avait l'air content de trouver un otage." "Il avait l’air content de trouver son otage, assez vite, il m’a dit qu’il ne me ferait rien, il m’a demandé de trouver un téléphone. J’ai pris celui qui se trouve derrière la pièce où je me trouvais. A sa demande, j’ai contacté la gendarmerie de Carcasse", relate Y. lors de son audition. "Je suis actuellement euh… prise en otage par un monsieur armé", déclare l’otage au téléphone.
"Je représente l’Etat islamique." Lorsqu’il se saisit de l'appareil, Radouane Lakdim déclare : "J’vais la faire à la Coulibaly, j’vais rejoindre mes frères, Mohamed Merah, Coulibaly, ils ont raison", avant de poursuivre : "Je représente l’Etat islamique, vous voyez tous les bombardements que vous avez fait en Syrie, en Irak, au Mali, faut le payer vous voyez. (…) Je sais que vous allez pas vouloir, vous allez ramener Salah Abdeslam (seul survivant des commandos du 13 novembre, NDLR). Je veux que vous le libériez, on fait un échange", déclare-t-il.
L'attitude d'Arnaud Beltrame étonne certains gendarmes. Alertés, les gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) de Carcassonne se positionnent sur place. Le colonel Beltrame, le plus haut gradé, les accompagne. Il est 11h24. L’attitude du gradé étonne certains. "N’étant pas équipé de gilet pare-balles lourd et comme le veut la consigne, je lui ai demandé de rester derrière moi", déclare un jeune gendarme.
"Lâchez-là et prenez-moi à sa place." Le premier intervenant entre alors en négociation avec Radouane Lakdim. "Je suis entré en phase de négociation en lui disant : 'relâche l’otage et nous allons trouver une solution'". Mais il est rapidement interrompu par Arnaud Beltrame qui prend alors les opérations en main. "Le colonel s’est alors redressé en levant les mains en l’air", souligne le commandant du PSIG de Carcassonne. "J’ai alors crié au colonel en lui disant : 'Non colonel, reculez'. Mais le colonel s’est dirigé vers l’individu en lui disant : 'Lâchez-là et prenez-moi à sa place'".
"Pendant que je m’éloignais, le gendarme a pris ma place." Dans la salle des coffres, Radouane Lakdim, qui craint d’être abattu lors de l’avancée d’Arnaud Beltrame, tient l’otage en joue. "L’auteur m’a mis le canon de son arme sur la tempe, plus précisément derrière l’oreille. Plus il avançait, plus [Lakdim] tremblait. Là, j’ai vraiment eu peur. Quand le gendarme s’est retrouvé avec nous à l’accueil, [Lakdim] a demandé son arme. Le gendarme a fait demi-tour, a pris son arme, a enlevé le chargeur, il a fait glisser au sol vers nous. Le gars a vu tout de suite qu’il n’y avait pas le chargeur avec. Il lui a demandé le chargeur. Du coup, le gendarme s’est exécuté, et il a fait passer l’arme au sol. Là, [Lakdim] a ramassé le chargeur et l’arme […] Il a mis le chargeur dans l’arme. Le gendarme était avec nous dans la pièce. Je lui ai dit 'ok, je vais sortir doucement'. Pendant que je m’éloignais, le gendarme a pris ma place", relate Y. lors de son audition.
Le négociateur tente d’amadouer le terroriste en mentionnant sa mère, présente sur place. A 11h32 et 37 secondes, Y. est libérée. Les gendarmes profitent alors de cette séquence, où Arnaud Beltrame et Radouane Lakdim sont isolés dans la salle des coffres, pour évacuer les dernières personnes se trouvant encore dans le magasin. Les équipes toulousaines du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) arrivent sur les lieux. Peu après 14h, un négociateur du GIGN parvient à contacter le colonel Beltrame sur son portable. Radouane Lakdim demande une nouvelle fois la libération de Salah Abdeslam. "Ben, Radouane, vous savez très bien que ça ne se fait pas ça, non ?", rétorque le négociateur, qui tente d’amadouer le terroriste en mentionnant sa mère, présente sur place. Sans effet.
"Attaque… Assaut, assaut." C’est alors que selon la retranscription de la bande sur procès-verbal, Arnaud Beltrame pousse ses derniers mots. Il est 14h16. "Attaque… Assaut, assaut". Au bout du téléphone, le négociateur ne perçoit pas tout de suite que la situation lui échappe. "Vous m’entendez ? Arnaud vous êtes là ? Radouane tu m’entends ?". Les forces de l’ordre ne réagissent pas non plus directement. Comme le souligne Libération, à la lecture du dossier, il est très difficile de connaître le laps de temps entre les cris d’Arnaud Beltrame et l’arrivée des membres du GIGN dans la salle des coffres. "Étrangement, le rapport du GIGN ne donne jamais cette indication. Le PV issu de la vidéosurveillance livre cependant un indice : à 14h24 et 30 secondes, la caméra 32 filme l’arrivée des effectifs. Soit donc 8 minutes et 30 secondes après les premiers cris du lieutenant Beltrame, une éternité », peut-on lire dans les colonnes de quotidien.
L'assaut est terminé à 14h28. Dans la salle des coffres, les membres du GIGN trouvent Radouane Lakim assis, dos à la porte. Le terroriste crie "Allah Akbar" et tente de se redresser. Il est abattu. A 14h28, l’assaut est terminé. Les premiers soins sont prodigués à Arnaud Beltrame, qui a reçu plusieurs balles et est tailladé au niveau du cou. Le décès du lieutenant sera constaté quelques minutes plus tard.