L'annonce d'un campement humanitaire à Calais a réveillé le souvenir du centre de Sangatte. Synonyme d'appel d'air à droite et "trauma" pour certaines associations, le centre de Sangatte, où régnait une insalubrité sans nom, avait été fermé en 2002, après trois ans d’une existence chaotique. L’annonce par Manuel Valls de la construction prochaine d'un campement humanitaire pour 1.500 migrants, a donc ravivé de mauvais souvenirs, même si le contexte actuel de crise migratoire complique la comparaison.
Sangatte, c’était quoi ? A l’origine, la volonté des autorités étaient d’éviter que les migrants ne campent toutes les nuits dans un jardin public de Calais. En septembre 1999, la préfecture du Pas-de-Calais réquisitionne donc un hangar de 25.000 m2, propriété d'Eurotunnel, pour abriter les 200 personnes qui occupaient le lieu public.
Espace d'accueil provisoire pour immigrés clandestins, ce centre géré par la Croix-Rouge pour 800 personnes est finalement maintenu. Là-bas attendent majoritairement des migrants originaires du Kurdistan irakien, d'Iran ou d'Afghanistan, qui cherchent à se rendre en Grande-Bretagne où la législation leur est plus favorable. Mais la création de cet espace d’accueil provoque de vives tensions entre la Grande-Bretagne et la France. Les britanniques reprochent à la France de favoriser le passage en force des migrants via l’Eurotunnel.
En trois ans, Sangatte a vu passer près de 68.000 migrants et plus d'une vingtaine de migrants du camp sont morts en tentant la traversée de la Manche. Des incidents violents dans l'enceinte et aux alentours avaient fait deux morts et une trentaine de blessés. En septembre 2002, quelques semaines avant sa fermeture décidée par Nicolas Sarkozy, le lieu hébergeait jusqu'à 2.000 migrants. A l’époque, l'Etat s'était engagé à prendre en charge tous les migrants refoulés du centre en leur fournissant un hébergement hors du Pas-de-Calais.
13 ans sans Sangatte, quelle situation ? En réalité, la fermeture du centre a laissé place à ce que l’on appelle désormais la "jungle de Calais". Car de nombreux migrants sont restés sur place, déterminés à poursuivre leur périple vers "l’eldorado" britannique. Seules sont restées les associations, qui ne veulent pas d’un Sangatte bis, mais estime que des mesures étaient nécessaires pour faire face à cette crise sans précédent.
Que sait-on du prochain centre ? Manuel Valls a annoncé lundi la construction pour "début 2016", d'un campement pour 1.500 personnes dans la "jungle" de Calais, où se massent des milliers de migrants dans des conditions très dégradées. Ce campement devrait être financé en partie avec le soutien financier de l'Union européenne qui va débloquer 5 millions d’euros.
Pourquoi ce ne sera pas un Sangatte bis ? Au ministère de l'Intérieur, on s'agace de cette comparaison. "Il n'y avait pas de crise migratoire à l'époque et le centre de Sangatte a contribué à créer un problème de fixation", explique-t-on, alors que, selon les chiffres de l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex, 340.000 personnes environ sont arrivées en sept mois aux portes de l'Union européenne.
"Dès qu'on fait quelque chose qui ne soit pas répressif on dit : c'est Sangatte, alors que là c'est très différent" avec un accompagnement prévu des retours notamment, ajoute-t-on de même source. "A l'époque on ne se préoccupait pas à Sangatte de la question du retour, de la redistribution des migrants vers d'autres sites en France ou en Europe, ce qui est le cas aujourd'hui", assure de son côté Jérôme Vignon, le président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, et auteur avec Jean Aribaud d'un rapport sur la situation des migrants à Calais remis cet été au ministre de l'Intérieur.
Qu’en pensent les associations ? Le parallèle avec Sangatte laisse également les acteurs de terrain dubitatifs. "Sangatte, c'était 1.500 à 1.700 personnes, là on est à plus du double", souligne Véronique Devise, présidente du Secours catholique dans le Pas-de-Calais, qui dénonce la faiblesse des capacités annoncées.
"Nous faisons face à une situation exceptionnelle qui n'était pas celle qui prévalait au moment de Sangatte", abonde Pierre Henry de France Terre d'asile. "Parler de Sangatte sert juste à faire peur", regrette-t-il, mais "la situation est dramatique parce qu'on est dans une crise politique, à laquelle on ne sait pas quoi répondre parce qu'on n'a rien anticipé".
Reste que, du côté des associations, "il y a une réelle peur", explique Thierry Benlahsen, responsable de l'équipe d'urgence à Solidarités international. "Un certain nombre d'acteurs humanitaires ont gardé un trauma de ce qui s'est passé à Sangatte", à cause notamment de la façon dont le camp était géré, et la crainte "en termes d'image de suppléants du gouvernement".
Le pragmatisme imposera de ne pas répéter les erreurs d'hier, veut croire Antoine Osbert, responsable des missions sociales au Secours islamique France: "Si c'est un nouveau Sangatte, ça ne va pas être opérationnel. Il faut que les personnes soient traitées au cas par cas".