C'est un phénomène méconnu mais pourtant répandu : des milliers de patients français victimes d'un cancer se font opérer chaque année dans des hôpitaux ou des cliniques qui n'ont pas l'autorisation de pratiquer ces chirurgies. Lundi, à l'occasion de la journée mondiale contre le cancer, treize grands chirurgiens français publient une tribune, que vous pouvez retrouver en exclusivité sur Europe1.fr, avec un message clair : stop aux chirurgies illégales du cancer.
Une question de survie. Ce sont pour la plupart des chefs de services de grands centres en cancérologie : l'Institut Curie à Paris, le centre Léon-Berard de Lyon ou encore la Timone à Marseille. Pour eux, il est primordial que les patients atteints de cancer soient opérés par des chirurgiens spécialisés, dans des établissements qui le sont également. C'est une question de survie, il ne faut plus qu'aucun malade ne se fasse opérer dans des centres qui font peu d'opérations en cancérologie par an et encore moins, qui le font sans autorisation.
La preuve de ces irrégularités a été apportée tout récemment, grâce à un rapport on ne peut plus officiel, publié par l'Assurance maladie en juillet dernier. Dans le cas de la chirurgie du cancer du sein, sur les 571 services qui ont facturé ce type d'opérations à l’Assurance maladie en 2014, le rapport révèle que 115 n’avaient pas d’autorisation. Mais cela va encore plus loin, avec des conséquences effrayantes : un an après l'opération, il y a deux fois plus de décès constatés parmi les femmes qui ont été opérées dans ces 115 centres sans habilitation.
Les treize chirurgiens signataires de la tribune voient parfois arriver dans leurs services de pointe des femmes opérées dans des cas désespérés. "On voit des patients qui ont été mal pris en charge. Il y a des manques que l'on peut corriger dans un second temps mais cela peut amener à réaliser des chirurgies beaucoup plus importantes qu'elles n'auraient dû l'être si le diagnostic avait été bien fait", explique le Pr Fabien Reyal, chef du service de chirurgie à l'Institut Curie à Paris. Ces opérations illégales peuvent se traduire par "des gestes beaucoup plus mutilants" ou l'impossibilité d'avoir une nouvelle opération chirurgicale. "Lorsque vous opérez mal un ovaire la première fois, c'est difficile de récupérer derrière. Et c'est pareil pour tous les cancers. La survie des gens est en jeu", alerte le chirurgien.
30 opérations minimum par an pour être habilité. La principale différence entre les centres autorisés à pratiquer les chirurgies de cancer et les autres, c'est le volume d'activité. La chirurgie du cancer ne s'improvise pas et pour être bon il faut en faire beaucoup. Depuis dix ans, c'est l'un des critères pour obtenir ces fameuses autorisations : il faut pratiquer un nombre minimum d'opérations. Par exemple, dans le cas du cancer du sein, c'est 30 opérations minimum par an. Ce seuil, qui n'est pas respecté dans un cas sur cinq, alors qu'il est très bas. En Allemagne, en Espagne ou en Italie, le seuil minimum est à 150 opérations par an.
Finalement, le problème c'est que les patients n'ont aucune conscience du risque qu'on leur fait courir. Soit leur généraliste les a orientés de bonne foi, soit le chirurgien leur a été conseillé par un ami ou un voisin. Pour Catherine Simonin, secrétaire générale de France Assos Santé (fédération de 80 associations de patients), cette perte de chance de survie est un scandale. "Les patients qui subissent des opérations dans ces centres qui ne respectent pas le seuil n'ont aucune information. Ils ne savant pas que l'établissement n'est pas habilité", déplore-t-elle.
Une loi plus stricte en cours d'élaboration. La bonne nouvelle c'est que la situation devrait enfin changer en 2019. D'abord parce que la loi de financement de la sécurité sociale prévoit que ces établissements soient sanctionnés. L'Assurance maladie ne remboursera plus ces chirurgies illégales en exigeant d'être remboursée par l’hôpital ou le centre qui a fait l'opération. Cela devrait être effectif dans l'année, avec des effets assez dissuasifs. Par ailleurs, les seuils minimum exigés pour être autorisé à opérer les cancers vont être relevés prochainement.
En attendant que la loi change, les malades ou leurs proches peuvent se renseigner sur le site Internet de l'INCA, l'Institut national du cancer. Il y a une carte de France, vous indiquez votre département et votre type de cancer, et cela vous donne la liste des établissements autorisés à les traiter. Si celui dans lequel vous allez être pris en charge n'y figure pas, il est urgent de changer d’hôpital ou de clinique.