Un mois et demi après le début du mouvement des policiers en colère, né à Viry-Châtillon, où deux gardiens de la paix avaient été gravement blessés en octobre, le soufflé semblait être retombé. Depuis l'annonce de la constitution en association des agents protestataires de "la base", fin octobre, les manifestations s'étaient faites de plus en plus rares et disséminées. Et puis, fin novembre, la mèche s'est rallumée à Montpellier. Dénonçant un alourdissement des procédures pénales, des gardiens de la paix ont symboliquement demandé le retrait de leur habilitation d'officiers de police judiciaire (OPJ).
En une semaine, des dizaines de policiers ont déposé leur dossier auprès du procureur général de la cour d'appel, rapporte Midi Libre. Le mouvement a rapidement essaimé à Sète et Agde, puis Nîmes. Dans le seul département de l'Hérault, "250 rapports sont partis vers la cour d'appel", selon Bruno Bartoccetti, cadre local du syndicat SGP police-FO, pour qui "tous les services d'investigation sont concernés".
Que contestent exactement les policiers ?
Objet du courroux : des prescriptions de la loi de réforme pénale du 3 juin 2016, entrées en vigueur le 15 novembre, qui "alourdissent considérablement notre charge de travail", selon les policiers. Deux points contenus dans le texte, visant pourtant à simplifier les procédures, braquent particulièrement les gardiens de la paix. Premier reproche : un gardé à vue peut désormais communiquer "avec un tiers" (frère, employeur, consulat…) pour l'informer de sa situation, sous la surveillance d'un OPJ. La mesure engendre "de la paperasserie en plus" - un procès verbal devant être rédigé à chaque coup de fil - et fait de la garde à vue une étape "très procédurale et très complexe", selon un officier. D'autres invoquent la possibilité pour un suspect de profiter de ce droit pour communiquer des informations à d'éventuels complices, en échangeant, par exemple, dans une autre langue.
Deuxième point de crispation : la possibilité donnée aux avocats d'être présents lors de la présentation du suspect à une victime ou un témoin pour identification, ou de la reconstitution d'une infraction. Selon les OPJ mobilisés, la mesure entraîne un nouveau ralentissement de la procédure, au détriment de la collecte de preuves - la garde à vue ne pouvant pas, en règle générale, durer plus de 24 heures.
Combien sont-ils ?
En plus des Héraultais, des agents du Vaucluse et de Versailles ont notamment sollicité le retrait de leur habilitation de police judiciaire. A Lyon, les syndicats évoquent 400 dossiers déposés, la hiérarchie chiffrant la mobilisation en "dizaines". A l'échelle nationale, entre 1.000 et 1.500 policiers ont effectué cette démarche.
Quand t'es du mauvais côté de la réforme des gardes à vue. (Bouclier anti ouin ouin ouin activé) pic.twitter.com/JrJd9WpbeV
— Violent Policier (@ViolentPolicier) 28 novembre 2016
Quel rapport avec la grogne du mois d'octobre ?
Si elles ne se concentrent pas sur les mêmes motifs, les deux frondes ne sont pas totalement dissociables. Déjà, fin octobre, la simplification accrue de la garde à vue faisait partie des engagements pris par le gouvernement pour répondre à la grogne policière : pour éteindre la protestation, l'exécutif a promis un plan de 250 millions d'euros en moyens et matériel, ainsi que des allègements de procédure et de nouvelles modalités de légitime défense. Jugeant ces propositions insuffisantes, les "policiers en colère" ont appelé à une nouvelle manifestation nationale le 13 décembre. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes de mouvement d'OPJ indiquent leur volonté d'y participer.
Autre point commun : les deux mouvements assurent venir de "la base" et s'être constitués sans concours des puissants syndicats de police. Ces derniers ont affiché leur soutien à cette nouvelle grogne.
Quelles conséquences peut avoir ce mouvement ?
Selon la définition donnée par le site gouvernemental Vie Publique, "la police judiciaire constitue l'un des rouages indispensables de la procédure pénale : travaillant sous le contrôle des magistrats, elle est chargée de la mise en oeuvre de l'enquête." Dans les faits, les OPJ sont habilités à placer une personne en garde à vue, procéder à une perquisition ou encore effectuer une saisie. D'après Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie, second syndicat d'officiers, le mouvement pourrait ainsi, "à court terme, bloquer la machine et les enquêtes judiciaires." Plus de deux semaines après les premières demandes de retrait d'habilitation, l'exécutif n'a pas officiellement réagi à ce mouvement. A la mi-novembre, des sources gouvernementales indiquaient simplement être "conscientes des inquiétudes" et envisager des "ordonnances de simplification".