1.054.000 euros, précisément. C'est la somme que l'Assemblée nationale, partie civile, est susceptible de réclamer aux époux Fillon. Trois ans après le premier article du Canard Enchaîné, qui avait fait éclater l'affaire des emplois fictifs présumés de Penelope Fillon, le couple a rendez-vous devant le tribunal, à partir de lundi - ou de mercredi, si la demande de renvoi symbolique que les avocats de la défense, en grève, entendent déposer est acceptée. Les prévenus sont poursuivis pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et escroquerie. Europe 1 décrypte, point par point, ce que la justice leur reproche.
Les missions floues de Penelope Fillon auprès de son mari
Ce que disent les juges. Les enquêteurs sont remontés jusqu'en 1981, date de la première élection de François Fillon. Ils ont retrouvé des contrats évoquant les missions ponctuelles et vagues de son épouse et assistante parlementaire, nommées "étude du bocage sabolien" ou "études politiques générales" pour des montants variés. Les faits sont trop anciens pour donner lieu à des poursuites, mais d’après les juges ils éclairent le "système familial" établi par François Fillon. À l'image de cette mention manuscrite, découverte par les enquêteurs au bas d’un contrat et qui semble expliciter son objectif : "utiliser le crédit collaborateur".
" Si, dans cette équipe, quelqu'un devait travailler sans être rémunéré, ça ne pouvait être que son épouse "
Sur les 1664 courriers saisis par les enquêteurs en perquisition, seuls 38 concernaient par ailleurs de près ou de loin Penelope Fillon, soit 2% de l’ensemble des demandes traitées par l’équipe de son mari. En 2012-2013, période la plus récente où Penelope Fillon était rémunérée à temps complet, les policiers n'ont réussi à mettre la main que sur 36 courriels et 16 demandes d’interventions.
Pire, un courriel montre que l'assistante parlementaire ne savait pas réserver des places pour un meeting, par exemple, et qu’elle n’avait pas le numéro de téléphone de celle qui était alors la principale collaboratrice de son époux. Les enquêteurs estiment que ces documents, "destinés à faire masse", "ne (démontrent) rien ou (confirment) l’abus de langage consistant à qualifier de travail de collaborateur parlementaire la plus anodine de ses activités."
Ce que répondent les époux Fillon. Lors de leur garde-à-vue, François et Penelope Fillon ont d'abord indiqué ne pas se souvenir des contrats en possession des policiers. Puis ils ont argué que le premier "salariait son épouse quand il en avait la possibilité, en fonction de l'organisation de son équipe. Car si, dans cette équipe, quelqu'un devait travailler sans être rémunéré, ça ne pouvait être que son épouse", indique l'ordonnance de renvoi consultée par Europe 1.
La présence de l'assistante parlementaire dans la Sarthe
Ce que disent les juges. Un autre point intéresse les juges : lorsque Penelope Fillon devient assistante parlementaire de son mari à temps plein, elle est payée trois fois plus que les autres employés de François Fillon pour ouvrir une partie du courrier, recevoir des habitants et représenter son époux à certains événements locaux.. Sauf que pour trouver trace de cette activité dans la Sarthe, les enquêteurs ont interviewé du jardinier de la propriété jusqu’aux préfets en poste à l’époque, en passant par les journalistes locaux, sans succès. Les magistrats notent aussi que l'épouse du député n’a pris aucun congé maternité pour ses 5 grossesses.
" En évoquant leurs problèmes avec elle, les administrés avaient l'impression de s'adresser à lui "
Ce que répondent les époux Fillon. "L'essentiel de son apport résidait (...) dans sa connaissance des personnes et du terrain que lui-même n'avait pas par manque de temps, et aussi pour des raisons de caractère, n'ayant jamais été très patient pour écouter les sollicitations des uns et des autres" : c'est ainsi que les juges résument la position du couple dans leur ordonnance de renvoi. "En évoquant leurs problèmes avec elle, les administrés avaient l'impression de s'adresser à lui." Auprès des enquêteurs, les époux Fillon évoquent aussi des "prestations orales et intellectuelles", dont il n'existe "aucune trace écrite".
Le rôle de Penelope Fillon auprès de Marc Joulaud
Ce que disent les juges. Lorsque François Fillon entre au gouvernement, en 2002, Marc Joulaud, son suppléant, est celui qui récupère son siège… et sa collaboratrice. Penelope Fillon est à nouveau embauchée, et même augmentée : comme elle n’a pas de lien familial avec Marc Joulaud, son salaire n’est pas plafonné. Il double et atteint 6.200 euros par mois - soit une somme supérieure à celle perçue par l’élu lui-même. Aux enquêteurs, ce dernier - également prévenu dans ce volet de l'affaire - explique avoir signé... sans regarder le document que François Fillon avait préparé.
Ce que répondent les époux Fillon. "Si elle avait exercé dans un cabinet d'avocats parisiens, sa rémunération aurait été nettement supérieure", indique François Fillon aux juges. Marc Joulaud confie lui aux enquêteurs que l'épouse de son prédécesseur travaillait "sur un volet très politique, avec François Fillon lui-même", et dont il ne s'offusquait pas, considérant qu'il était chargé de lui permettre de revenir dans la Sarthe dans les meilleures conditions lorsqu'il ne serait plus ministre. Les magistrats notent enfin que Penelope Fillon ignore les noms des autres collaborateurs qui travaillaient avec Marc Joulaud à cette époque.
L'emploi de Penelope Fillon à la Revue des Deux Mondes
Ce que disent les juges. Sur le papier, les magistrats notent un emploi à temps plein de conseillère littéraire, que Penelope Fillon cumule avec son temps plein d’assistante parlementaire et dont on ne retrouve trace que dans deux notes de lecture. Marc Ladreit de Lacharrière, patron de la revue des Deux Mondes et ami de longue date de François Fillon, a lui-même fait une procédure de "plaider coupable" dans cette partie du dossier, en expliquant non pas que l’emploi était fictif mais qu’il aurait dû lui demander de travailler d’avantage, proportionnellement aux 5.000 euros mensuels qu’il lui versait.
Ce que répondent les époux Fillon. Penelope Fillon "admettait elle-même que ses réflexions sur l'évolution de la revue n'avaient pas donné lieu à la production du moindre écrit", notent les juges.
Les emplois des enfants du couple au Sénat
Ce que disent les juges. Cette fois quand il siègeait au Sénat, Français Fillon a embauché successivement sa fille Marie, puis son fils Charles, alors qu'ils n'avaient que 23 ans, en les payant chacun à hauteur de près de 50.000 euros. Des montants prélevés ensuite en quasi-totalité par leur père sur leur compte en banque. Les enfants du couple ne sont pas ne sont pas renvoyés devant le tribunal sur ce point, mais François Fillon oui.
Ce que répondent les Fillon. La fille du couple disait avoir travaillé 70 heures par semaine pendant 15 mois, en cumul avec le stage qu'elle faisait à l'époque. Mais les enquêteurs n'ont pu retrouver la trace que d'un travail effectué en novembre 2005, et de huit références dans son agenda.