A-t-elle par sa "négligence" permis un colossal détournement d'argent public au profit de Bernard Tapie ? Christine Lagarde, ancienne ministre et actuelle directrice générale du FMI, est jugée à partir de lundi par la Cour de justice de la République. Elle qui affirme avoir toujours "agi de bonne foi" risque jusqu'à un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
Septième membre de gouvernement devant la CJR. Christine Lagarde, 60 ans, sera le septième membre de gouvernement à comparaître devant la CJR, chargée depuis 1993 de juger les ministres et secrétaires d'Etat pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Le procès commence lundi à 14h00. Il est prévu qu'il dure jusqu'au 20 décembre, et que la décision soit rendue dans la foulée, mais la défense va demander un report. La CJR, juridiction d'exception composée de trois juges de la Cour de cassation, de six députés et de six sénateurs, a, à ce jour, condamné trois membres du gouvernement.
"En congé" le temps du procès. Christine Lagarde, reconduite haut la main l'été dernier à la tête du FMI, a indiqué dans un entretien avec L'Obs qu'elle se mettrait "en congé" du Fonds monétaire international le temps du procès, sans se prononcer sur les conséquences d'une éventuelle condamnation. Ministre de l'Economie et des Finances entre 2007 et 2011, alors que Nicolas Sarkozy était président de la République, elle sera jugée par la CJR au titre de l'article 432-16 du Code pénal. Il vise toute personne dépositaire de l'autorité publique qui aurait, par sa "négligence", permis un détournement de fonds publics.
Patronne de Bercy depuis quelques mois, Christine Lagarde autorise à l'automne 2007, avec "légèreté" selon les enquêteurs, le choix d'une procédure privée d'arbitrage dans un vieux conflit entre Bernard Tapie et l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais, sur la revente en 1994 de l'équipementier sportif Adidas. Puis Christine Lagarde renonce en juillet 2008, un peu vite selon les magistrats instructeurs, à engager un recours contre la sentence arbitrale qui attribue à Bernard Tapie plus de 400 millions d'euros (avec les intérêts), pris sur les deniers publics.
"Incurie et précipitation". Il lui est reproché d'avoir dans cette affaire fait preuve "d'une incurie et d'une précipitation critiquables" et d'avoir ainsi "privé l'État d'une chance d'éviter que ses fonds soient détournés", selon l'arrêt qui la renvoie en procès. À sa décharge, il est relevé que le recours à l'arbitrage se préparait avant son arrivée à Bercy, mais aussi que cette ancienne avocate d'un prestigieux cabinet anglo-saxon n'avait pas de "relations personnelles" avec les acteurs du dossier. Surtout, Christine Lagarde n'est pas intervenue dans le choix, très controversé, des arbitres.
L'arbitrage a été annulé en 2015 au civil, avec obligation pour Bernard Tapie de rembourser. Au pénal, les enquêteurs soupçonnent un "simulacre" organisé au bénéfice de l'homme d'affaires, dont l'avocat avait des liens avec l'un des arbitres.
Mises en examen pour escroquerie. Dans cet autre volet de la tentaculaire affaire Tapie, six personnes sont mises en examen entre autres pour "escroquerie". Parmi elles l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et actuel PDG d'Orange, Stéphane Richard. La CJR souhaite entendre certains de ces six hommes, dont Stéphane Richard, comme témoins. Étant mis en examen, ils auraient alors le droit, soit de ne pas répondre à certaines questions, soit de ne pas prêter serment, pour ne pas compromettre leur propre défense.
Son avocat va demander un sursis à statuer. La Cour veut, selon des sources proches du dossier, citer également les deux prédécesseurs de Christine Largarde à Bercy, Thierry Breton et Jean-Louis Borloo, ainsi que deux anciens piliers de l'Elysée : l'ex-secrétaire général de la présidence Claude Guéant, et l'ancien conseiller économique de Nicolas Sarkozy, le banquier François Pérol. Pour Me Patrick Maisonneuve, avocat de Christine Lagarde, "il faudrait qu'un tribunal dise d'abord si oui ou non il y a eu un détournement de fonds publics", avant de juger la patronne du FMI pour des négligences qui auraient permis de siphonner l'argent du contribuable. "C'est une question de bon sens", estime l'avocat, qui va par conséquent demander un sursis à statuer.