On la surnomme "Mamie djihad". Probablement parce que Christine Rivière, 51 ans, n'a pas le profil des prévenus jugés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme. Mère de deux garçons, ancienne ouvrière et gardienne d'immeuble, elle est la doyenne de la trentaine de femmes revenues de Syrie et incarcérées en France. Pour avoir effectué trois séjours sur le territoire de l'Etat islamique (EI) et apporté un soutien financier à son fils, lui-même émir de l'organisation djihadiste, elle comparaît jeudi et vendredi devant le tribunal correctionnel de Paris et encourt jusqu'à dix ans de prison.
"Une mère qui va voir son fils, c'est normal". Le parcours de Christine Rivière est intrinsèquement lié à celui de son fils Tyler Vilus, avec qui elle entretient un rapport qualifié de "fusionnel" par les enquêteurs. Pour les services antiterroristes, ce dernier est connu sous le surnom du "Suédois". Début juillet 2015, c'est avec un passeport de ce pays qu'il s'est présenté à l'aéroport d'Istanbul, pour tenter de se rendre en République Tchèque. Un document appartenant à un autre djihadiste, vraisemblablement issu du stock de pièces d'identité confisquées par l'EI. Malgré la ressemblance physique entre les deux hommes, les services de la douane tiquent et opèrent des vérifications. Ils identifient le Français, soupçonné de chercher à regagner le territoire pour participer à l'organisation d'attentats, et organisent son expulsion.
Un an plus tôt, sa mère a été interpellée au domicile de son autre fils. Pour la troisième fois, elle s'apprêtait à rejoindre la Syrie et Tyler. "Je suis une mère qui va voir son fils, c'est normal", déclarera-t-elle au juge d'instruction, selon des procès-verbaux consultés par Le Monde. Un fils idolâtré, brutalement converti à l'islam à l'âge de 21 ans, alors qu'il "porte des dreadlocks et fume des joints", selon le quotidien. En 2011, Tyler gagne la Tunisie, aux côtés d'autres Français tentés par le djihad. Elle le rejoint la même année et embrasse sa religion.
"Je veux ce que lui veut, comme toute bonne mère". Suivent trois ans d'allers-retours vers la Syrie, où Tyler s'installe en 2013. Sur Skype, il lui écrit : "je suis devenu émir d'un groupe de Français. N'en parle pas." Elle répond : "Je savait que tu monterais, tu est fais pour sa (sic)." Sur plusieurs clichés de ses voyages en zone irako-syrienne, on la voit en possession d'armes lourdes. "Ici, on prend des photos à la plage. Là-bas, il y avait des armes : je prenais des photos avec des armes", justifiera-t-elle auprès des magistrats. Et encore : "si j"avais aimé les fleurs, j'aurais fait une photo avec des fleurs."
Au cours de l'instruction, Christine Rivière n'a cessé de contester tout soutien financier à l'organisation terroriste ou participation à des combats, reconnaissant en revanche partager l'engagement religieux radical de son fils. "Nous, les salafistes, on fait la guerre aux gens qui ne se comportent pas comme des musulmans", lâchera-t-elle à une psychiatre, toujours selon Le Monde. Pour justifier ses voyages fréquents, elle dit avoir voulu "profiter de (son) fils jusqu'à ce qu'il soit mort". "Si cela arrive, je serai contente pour lui, parce que je sais ce que ça signifie. (...) Je veux ce que lui veut, comme toute bonne mère."
La mère de famille, identifiée comme "Oum Abdallah" - la mère d'Abdallah, un des alias de son fils - sur les réseaux sociaux, a-t-elle vraiment seulement voulu passer du temps avec son enfant ? Que savait elle des projets de cet émir, dont les liens avec Abdelhamid Abaaoud, coordinateur des attentats du 13-Novembre, sont établis par les enquêteurs ? A-t-elle participé, lors de séjours en Syrie, à des scènes ultraviolentes semblables à celles qu'elle avait l'habitude de partager sur Twitter ? Ces questions seront au coeur du procès qui s'ouvre jeudi après-midi. Tyler Vilus dont le dossier est encore à l'instruction, sera lui jugé plus tard.