Elle se souvient encore "exactement" de cette froide après-midi de janvier, lorsque le terroriste Amedy Coulibaly a pénétré dans l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Ce vendredi 9 janvier 2015, c'était le début de Shabbat pour Delphine Horvilleur ; elle se rappelle avec précision de ce moment "où on a commencé l'office dans ma synagogue, sans savoir à quel monde on allait ensuite s'éveillé, à quoi allait ressembler le monde d'après". Quatre personnes ont trouvé la mort ce jour-là sous les balles du terroriste et la rabbin est revenue samedi soir, au micro d'Europe 1, sur les conséquences du deuxième attentat antisémite le plus grave depuis 30 ans, après la tuerie de Toulouse en 2012.
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"J'ai un sentiment très mitigé cinq ans après", confie Delphine Horvilleur à Wendy Bouchard sur notre antenne, cinq ans jour pour jour après la marche républicaine du 11-Janvier. "On a vécu un rassemblement national, cette marche qui m'offre souvent du réconfort, mais j'ai aussi le sentiment qu'en cinq ans il y a quelque chose qui s'est encore un peu plus fracturé dans notre incapacité à mener des combats ensemble. J'ai le sentiment que la solitude des uns et des autres s'est renforcée."
Pas de "vision globale" de l'antisémitisme
Pour la rabbin, figure du judaïsme libéral, cette déliquescence d'une certaine forme de vivre-ensemble est "l'effet du communautarisme et des replis identitaires qu'on a vécus ces dernières années", avec "le sentiment que de plus en plus les gens sont dans une empathie avec un groupe, leur communauté, leurs proches, leur affiliation". Cela amoindrit selon elle la capacité de la société à mener collectivement "les combats contre le racisme et l'antisémitisme". "Ces dernières années, avec la montée des replis communautaires, on est de plus en plus seuls dans ces combats, on a du mal à les mener ensemble."
Depuis la mort de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab dans la supérette de l'Hyper Cacher, la lutte contre l'antisémitisme n'a pas porté ses fruits, d'après Delphine Horvilleur. "On a assisté à l'assassinat d'Ilan Halimi, de ces enfants à Toulouse, de Mireille Knoll, de Sarah Halimi", rappelle-t-elle. "On a l'impression que partout, et pour des motifs divers, l'élément antisémite est retenu mais ça ne suffit pas à ce qu'on soit capables d'avoir une vision globale de la situation. Comme si c'étaient des points qui clignotaient mais qu'on refusait de tracer la ligne en pointillés entre tous ces événements", compare la rabbin.
Obligation "morale et politique"
Malgré cette difficulté de la société à traiter le fait antisémite, la communauté juive "a fait le choix de la vie et d'une certaine résilience", insiste Delphine Horvilleur sur notre antenne. "On a le devoir de s'inscrire de nouveau dans la vie, d'enseigner ça à nos enfants et de se poser la question de la peur, qui ne doit pas dicter nos projets et ni nous empêcher de nous relever."
Cette semaine, la France s'est souvenue de ces quelques jours de janvier 2015, des premières balles tirées par les frères Kouachi à Charlie Hebdo à la marche du 11-Janvier. La communauté juive s'est elle aussi rappelée du vendredi 9 janvier meurtrier, comme une marque indélébile sur une conscience collective. "Il était difficile de ne pas parler de ça, de ne pas nous souvenir exactement où nous étions. Ce qui s'est passé nous oblige moralement et politiquement, pour nos familles et pour notre projet national. On est les héritiers de ce qui nous est arrivé", conclut Delphine Horvilleur.