L'extension du pass sanitaire est-elle constitutionnelle ? Alors que le président Emmanuel Macron a annoncé, lundi soir, que le pass sanitaire serait étendu aux restaurants, aux bars, à certains transports tels que les trains et les avions, et aux "lieux de loisirs et de culture" rassemblant plus de 50 personnes, certains juristes s'interrogent sur la constitutionnalité d'une telle mesure. Périmètre d'application, liberté de choix et rupture d'égalité : deux spécialistes de la loi font le point sur Europe 1.
La question d'une "atteinte excessive aux droits et libertés"
Selon Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des libertés publiques, le cœur de la question demeure le périmètre d'application de ce dispositif. "La seule certitude, c'est que le principe même du pass sanitaire n'est pas discuté, n'est pas contesté et contestable", affirme Nicolas Hervieu au micro d'Europe 1. "Toute la question va se poser à propos du périmètre". En effet, dit-il, des recours contre l'élargissement du pass sanitaire interviendront sûrement avant la promulgation de la nouvelle loi, laquelle doit, selon Emmanuel Macron être discutée avant la mise en place des nouvelles mesures, d'ici début août. "Ces recours viseraient à mettre en cause le fait qu'il n'y a pas de base légale solide pour étendre dès maintenant ce mécanisme de pass sanitaire", précise Nicolas Hervieu, qui évoque également une probable saisine du Conseil constitutionnel.
"Ça ne veut pas forcément dire que ça menace la pérennité du pass sanitaire, mais ça veut dire, et c'est plutôt rassurant, que des juridictions indépendantes vont examiner ce dispositif pour déterminer s'il ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés". Car, reste-t-il, si cette extension n'est pas contestable, les juridictions évoquées pourront néanmoins exiger "des garanties et précisions supplémentaires pour éviter que le dispositif soit trop intrusif et attentatoire aux libertés."
Quant aux principes de liberté et de respect de la vie privée, ils peuvent être supplantés par d'autres enjeux, selon Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste, professeur de droit public à l’Université de Lille et auteur du blog "La Constitution décodé". "Quoi que vous fassiez, n'importe quelle loi est susceptible de mettre en cause des enjeux constitutionnels, la question c'est de savoir si l'on peut trouver un autre enjeu constitutionnel qui peut la justifier", rappelle-t-il. "Pour l'encouragement à la vaccination, ça porte atteinte à la liberté de choisir, du respect à la vie privée mais c'est justifié par des exigences de préservation de la santé publique."
Pas de rupture d'égalité
Lors des rassemblements survenus mercredi contre ce dispositif sanitaire, de nombreux manifestants dénonçaient une future rupture d'égalité entre les citoyens. Pour Jean-Philippe Derosier, l'argument n'est pas valable dans ce cas précis, car la décision ne s'applique pas du jour au lendemain. "Le pass sanitaire va se déployer progressivement afin de permettre à ceux qui n'ont pas encore fait le choix de la vaccination de pouvoir opter pour cette vaccination", explique-t-il. "Pour qu'il y ait rupture d'égalité, il faut que des personnes placées dans la même situation subissent des conséquences différentes. Or, les personnes qui sont vaccinées ou qui ne sont pas vaccinées ne sont pas dans la même situation. Elles sont libres de choisir l'un ou l'autre, mais les conséquences sont différentes et connues à l'avance."