C'est la fin d'une partie du feuilleton Alexandre Benalla. La commission d'enquête du Sénat, qui enquête depuis sept mois sur les agissements, le 1er mai dernier puis après son licenciement, de l'ancien chargé de mission de l'Élysée, a rendu ses conclusions mercredi. Le président Philippe Bas (LR) et les corapporteurs Jean-Pierre Sueur (PS) et Muriel Jourda (LR) ont notamment pointé du doigt les "dysfonctionnements majeurs" constatés dans la gestion du cas Benalla au plus haut sommet de l'État et réclamé au Bureau du Sénat de saisir la justice pour faux témoignage.
La commission demande des poursuite judiciaires
C'était attendu, au vu des déclarations du président Bas comme des rapporteurs ces derniers mois : la commission d'enquête demande des poursuites judiciaires contre Alexandre Benalla et son collègue en charge de la sécurité de LREM Vincent Crase, tous deux soupçonnés de "faux témoignage". Dans une lettre adressée au président du Sénat Gérard Larcher, les membres de la commission demandent au Bureau du Sénat de saisir le procureur. Ils soupçonnent notamment un "faux témoignage" d'Alexandre Benalla sur le "périmètre de ses fonctions" à l'Élysée et "son rôle dans le dispositif de sécurité du chef de l'État", mais aussi sur l'utilisation de ses passeports diplomatiques.
Ces faux témoignages sont aussi liés à l'affaire dite des "contrats russes", à la signature desquels Alexandre Benalla et Vincent Crase sont soupçonnés d'avoir participé activement pendant et après leur passage à l'Élysée. S’appuyant sur les enregistrements dévoilés par Mediapart et les déclarations du patron de Velours (la société qui a conclu les contrats russes), la commission conclut qu’Alexandre Benalla et Vincent Crase se sont rendus coupables de faux témoignage devant la commission d’enquête quant à leur rôle réel dans cette affaire.
" La sécurité du président a été affectée "
Tout aussi explosif pour Emmanuel Macron, les commissaires demandent au bureau du Sénat de saisir la justice pour vérifier "un certain nombre d'omissions, d'incohérences et de contradictions" relevées lors des auditions des plus hauts collaborateurs du chef de l'État. Sont nommés le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler et le chef de cabinet Patrick Strzoda, mais aussi le chef du groupe de sécurité de la présidence, le général Lionel Lavergne.
"Nous ne pouvons pas laisser sans suite ce que nous considérons être des faux témoignages. Il en va de l’autorité du Parlement et de sa capacité à remplir pour les citoyens ses prérogatives en matière de démocratie", a expliqué Philippe Bas lors de la conférence de presse organisée au Sénat. Le Bureau du Sénat va donc délibérer pour décider de donner suite ou non à la demande de la commission parlementaire.
Des "dysfonctionnements majeurs" au sommet de l'État
Par ailleurs, dans sa lettre adressée à Gérard Larcher, la commission pointe des "dysfonctionnements majeurs" au plus haut niveau de l'État. Les sénateurs évoquent notamment "des pouvoirs excessifs laissés à un collaborateur inexpérimenté" dans le domaine de la sécurité du président, et "un sérieux manque de précaution dans la prévention des conflits d'intérêts de certains collaborateurs", en référence au contrat négocié avec un oligarque russe par Alexandre Benalla et Vincent Crase.
Benalla, un risque pour la sécurité du président. "Nous avons réuni suffisamment d’éléments pour estimer que la sécurité du président de la République a été affectée, que de nombreuses erreurs, anomalies ou défaillances ont été constatées", a souligné Philippe Bas.
" Alexandre Benalla s’était arrogé un rôle central dans la sécurité du président "
"Alexandre Benalla, fort de la liberté d’action qui lui était accordée et de l’ambivalence de ses missions, s’était arrogé un rôle central dans la sécurité du président de la cinquième puissance mondiale", a pointé du doigt le sénateur PS Jean-Pierre Sueur. "Le permis de port d’arme accordé par la préfecture de police en octobre 2017, dans des conditions inédites et dérogatoires, ne pouvait se justifier que par des fonctions de protection rapprochée", a-t-il ajouté, s'inquiétant à ce titre de "l'inexpérience" d'Alexandre Benalla pour ces missions.
Un enchaînement d’événements "incompréhensibles". Les membres de la commission d'enquête ont longuement insisté sur la responsabilité de l'Élysée et la sanction trop légère infligée à Alexandre Benalla suite à son comportement violent lors de la manifestation du 1er mai. "Il n'y aurait pas eu d'affaire Benalla si une sanction appropriée avait été prise dès le 2 mai 2018", a taclé Philippe Bas.
"Nous avons regretté l’incompréhensible indulgence de la hiérarchie d’Alexandre Benalla qui a conservé dans ses rangs un collaborateur qui avait gravement manqué à ses devoirs. Ce qui frappe, ce n’est pas la sanction infligée en mai mais la confiance maintenue jusqu’en juillet", a estimé la sénatrice LR Muriel Jourda, listant les missions confiées à Alexandre Benalla après sa mise à pied : obsèques de Simone Veil, défilé du 14-Juillet, parade des Bleus sur les Champs-Élysées…
La commission s'étonne également de la pagaille engendrée par les premières révélations de l'affaire Benalla à divers niveaux politiques et diplomatiques. "Dès lors qu’il est apparu qu'Alexandre Benalla était considéré comme disposant de la protection d’une autorité, tout s’est mis à dysfonctionner : Élysée, Beauvau, préfecture de police, et même jusqu'aux ambassades. Comme si un seul être par son autorité supposée faisait que tout se mettait à dysfonctionner par cercles successifs", a rappelé Jean-Pierre Sueur.
Des propositions pour éviter une nouvelle affaire d'État
La commission d'enquête formule donc treize "propositions constructives pour éviter que ce genre de situation se reproduise à l’avenir", a précisé Philippe Bas. Pour "renforcer la transparence dans le fonctionnement de l'exécutif", ils suggèrent de "mettre fin à l'expérience des collaborateurs 'officieux' du président de la République et (de) faire respecter strictement leurs obligations déclaratives à tous les chargés de mission de l'Élysée".
Mieux encadrer le recrutement des collaborateurs du président. Les sénateurs proposent de "conditionner le recrutement des collaborateurs" du président à la "réalisation d'une enquête administrative préalable, afin de s'assurer de la compatibilité de leur comportement avec les fonctions ou les missions susceptibles de leur être confiées". Ils recommandent aussi de "prévoir des sanctions pénales en cas de manquement aux obligations de déclaration d'une nouvelle activité à la commission de déontologie de la fonction publique".
Ils proposent également de "réformer le cadre réglementaire relatif au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), afin, d'une part, de réaffirmer la compétence exclusive des membres des forces de sécurité intérieure pour assurer la sécurité du chef de l'État, d'autre part, de formaliser les règles et procédures de recrutement". Alexandre Benalla, chargé de la protection du président, ne faisait par partie du GSPR. Les élus se disent aussi partisans de "maintenir la responsabilité organique du ministère de l'Intérieur" sur le GSPR et de "prévoir l'avis du chef du service de la protection sur la composition de ce groupe".
Les sénateurs en profitent également pour demander de "conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services" du président, et "confirmer la plénitude des pouvoirs d'investigations des commissions d'enquête parlementaires".
Une affaire à multiples rebondissements
Des violences le 1er-Mai... La commission des Lois du Sénat s'était vu attribuer les prérogatives de commission d'enquête pour six mois le 23 juillet dernier après la diffusion d'images montrant Alexandre Benalla - alors chargé de mission à l'Élysée - en train de frapper un manifestant en marge des défilés du 1er-Mai à Paris. Dans le même temps, une commission d'enquête analogue faisait long feu à l'Assemblée nationale, au grand dam des oppositions.
... qui mènent à s'interroger sur la fonction de Benalla. Dans un premier temps, les sénateurs se sont interrogés sur la présence de ce proche collaborateur d'Emmanuel Macron parmi les policiers ce jour-là, officiellement comme simple "observateur". Très vite, ils se sont attachés à déterminer quelle était sa fonction exacte et s'il avait un rôle actif dans la protection du chef de l'État, qui relève par principe de services spécialisés. Ils se sont en parallèle interrogés sur les sanctions qui avaient été ou non prises à son égard après les faits du 1er mai. Ils ont été très vite confrontés à des "incohérences" sur des questions très précises, comme le permis de port d'arme dont il disposait.
Une affaire dans l'affaire. Après l'audition retentissante d'Alexandre Benalla en septembre, on pensait le dossier quasiment clos. C'était sans compter sur la "2ème affaire Benalla", concernant cette fois l'utilisation de ses passeports diplomatiques après son licenciement.