C'était une promesse du prédécesseur de François Bayrou, Jean-Jacques Urvoas. Le 25 octobre 2016, le ministre de la Justice annonçait l'abandon de l'expérience des unités regroupant les détenus radicalisés en prison, au profit d'un nouveau système : des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER). Des quartiers censés permettre l'évaluation des détenus islamistes identifiés, afin de les orienter, en fonction de leur dangerosité, vers différents établissements pénitentiaires adaptés.
Une soixantaine de personnes. Sept mois plus tard, force est de constater que la prise en charge de la radicalisation en prison patine toujours. Le premier des six QER prévus n'a ouvert ses portes que fin février à Osny, dans le Val-d'Oise. Depuis, deux autres seulement ont été officiellement créés, dont un il y a une dizaine de jours à peine à Fleury-Mérogis, dans l'Essonne.
Dans ces trois structures, de nombreuses places restent vide : à Osny, seuls 9 détenus sont par exemple "évalués", pour 27 places disponibles. À l'échelle nationale, pour 1.336 détenus identifiés comme radicalisés par l'administration pénitentiaire - contre seulement 700 en 2015-, seule une petite soixantaine de personnes est suivie via ces nouveaux dispositifs. La plupart se trouve donc toujours dans le système "classique" de détention, au contact d'individus non radicalisés.
Des détenus "sous cloche". Dans les QER, le système est par ailleurs toujours en rodage. Toutes les activités qui avaient été développées dans le cadre des unités de regroupement des détenus radicalisés ont été arrêtées, alors même que certains des prestataires qui les assuraient continuent d'être payés jusqu'à la fin de leurs contrats : l'expérimentation aura duré moins d'un an.
" Un détenu qui avait les cheveux longs et s'est rasé la tête du jour au lendemain, ça fait un doute "
Au sein des nouveaux QER, les détenus sont comme "sous cloche", observés en permanence par un personnel pénitentiaire qui fonctionne "à l'aveugle", selon les termes employés par Marc, un surveillant interrogé par Europe 1. "Tout changement de comportement du détenu est tout de suite repéré", explique-t-il. "Par un exemple un détenu qui avait des cheveux longs et s'est rasé la tête du jour au lendemain, en disant que c'est pour l'hygiène, ça fait un doute."
"L'obsession de la prédiction". Du côté des conseillers insertion et probation, censés prévenir la récidive, l'impression est mitigée. Après une formation très sommaire d'une seule journée, ces derniers sont censés évaluer les individus radicalisés au sein des QER. "On est dans l'obsession de la prédiction, avec des personnels qui se sentent assez démunis et à la fois une interrogation sur ce à quoi va servir cette évaluation", estime Delphine Colin, secrétaire générale du syndicat CGT Insertion probation.
" On leur donne une grille avec des questions sur la pratique religieuse, où il faut répondre par oui ou par non "
"On leur donne (aux conseillers, NDLR) une grille avec des questions sur le comportement, sur la pratique religieuse, où il faut répondre par oui ou par non", poursuit-elle, déplorant la "focalisation contre-productive" de l'administration pénitentiaire sur la religion. "Ces publics se sentent déjà assez victimisés, ils sont dans un rejet de la société. (...) Il faudrait leur tendre la main."
Le repérage, et après ? L'observation des détenus en QER était censée durer quatre mois. De source pénitentiaire, elle devrait en fait être portée à six. Et après ? Les personnes suivies devraient, à l'issue de leur passage dans ces structures, être orientées vers un établissement pouvant assurer un suivi individuel spécialisé. Une trentaine de prisons ont été sélectionnées pour assurer cette mission sur tout le territoire.
Les détenus les plus dangereux sont, eux, censés prendre le chemin de quartiers pour détenus violents (QVD)... dont aucun n'a pour l'instant vu le jour. À Lille, l'ex-unité regroupant les détenus radicalisés a bien changé de nom - devenant officiellement un QVD - mais la structure est déjà presque pleine. La prison de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, est quant à elle candidate au test de ce nouveau dispositif. Mais elle reste pour l'instant sans nouvelle du ministère.
"On les évalue, mais après ce qu'ils vont devenir… c'est un gros point d'interrogation", reconnaît Marc, le surveillant. Delphine Colin abonde : "on est sur une évaluation de la dangerosité, plutôt que sur une prise en charge." Et d'avancer : "Ce que l'on craint, c'est que les évaluations soient utilisées davantage pour leurs condamnations futures, c'est-à-dire qu'ils puissent être condamnés non pas pour des faits qu'ils ont commis mais pour leur dangerosité."