Aujourd'hui, 1,3 million de pères ne voient plus leurs enfants après un divorce qui se passe mal. Un livre sur le sujet, intitulé Le combat des pères (Éditions du Rocher), paraît mercredi. Du côté des enfants, près d'un enfant de parents séparés sur cinq ne voit jamais son père. C'est une souffrance pour beaucoup de ces pères et leurs enfants. Mais c'est peut-être aussi une bombe à retardement pour la société.
Pour prendre un exemple concret, il y a l'histoire de ces quatre enfants qui ne voient plus du tout leur père, Philippe Guidal, 55 ans, employé de la SNCF. Une demande de garde exclusive lui a été refusée. "Je n'ai pas vu mes quatre enfants depuis février 2012 donc ça fait aujourd'hui pratiquement sept ans. Au regard de la situation socio-économique de notre couple, de toute façon, l'un des deux parents allait se retrouver d'une façon ou d'une autre, à la rue. C'est madame qui a été choisie. C'est elle qui a conservé le logement et les enfants. C'est un package en général", confie-t-il sur Europe 1.
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"Je ne pouvais accueillir aucun de mes enfants dans des conditions dignes de logement"
"Je suis passé d'un appartement de cinq pièces qui faisait 100 mètres carrés, à un petit studio de 16 mètres carrés", ajoute-t-il. Dans ces conditions, recevoir ses enfants, "ne serait-ce que pour un repas, c'était extrêmement difficile et une nuit, ce n'était même pas envisageable". "Je demandais à continuer à vivre avec mes enfants, continuer à m'en occuper comme je l'avais toujours fait auparavant à temps plein."
Il raconte avoir "pu entretenir quelques brins de relations avec (son) deuxième enfant mais ces contacts se sont petit à petit effilochés" : "Je ne pouvais accueillir aucun de mes enfants dans des conditions dignes de logement. Je ne voyais pas comment je pouvais continuer à être le père de mes enfants en ne les voyant qu'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires."
Voilà le mécanisme décrit par Philippe : le juge essaie de préserver l'environnement des enfants (appartement, rythme de vie) et le père doit souvent verser une pension alimentaire qui ne lui permet pas toujours d'avoir un logement assez grand pour accueillir les enfants. Et si ces pères pourraient essayer de voir leurs enfants en dehors de leur appartement, ils expliquent que c'est trop dur psychologiquement de mendier quelques heures par ci-par là avec leurs enfants.
Quand le temps passé ensemble tombe sous les 30%, le lien se délite de façon parfois irrémédiable
En général, les pères se contentent toutefois de voir leurs enfants un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Mais même ça, certains pères n'y arrivent pas par contraintes professionnelles ou parce qu'ils habitent trop loin de chez la mère. Et on sait maintenant que quand le temps passé ensemble tombe sous la barre des 30%, c'est-à-dire moins d'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, c'est là que le lien se délite de façon parfois irrémédiable.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi les pères ne demandent pas plus souvent la garde exclusive ou la garde alternée de leurs enfants. Tout d'abord, les audiences de conciliation lors d'un divorce sont très rapides, ça peut ne durer que quelques minutes. Si on n'adopte pas la bonne stratégie tout de suite, il est difficile de rattraper le coup.
Ensuite, les avocats conseillent souvent à leurs clients pères de renoncer à la garde alternée, parce que statistiquement ils ont moins de chances de l'obtenir. Il faut dire aussi que ça coûte cher d'héberger les enfants dans deux appartements distincts. C'est ce qui ressort des dizaines de dossiers qu'a épluchés le député MoDem de Vendée Philippe Latombe, qui a lui-même dû batailler pour obtenir la garde partagée de ses deux filles alors, qu'en tant que député il vit à Paris une partie de la semaine.
"Un parcours du combattant" pour les pères
"Les avocats étant plutôt payés, ou en tout cas reconnus pour leur succès, ont tendance à dire : 'Vous n'obtiendrez pas la résidence alternée donc ne la demandez pas. Demandez plutôt un droit de visite élargi, c'est-à-dire un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, plus une journée en semaine'", explique-t-il.
Il assure par ailleurs que "c'est un parcours du combattant de pouvoir justifier en tant que père, la possibilité de s'occuper de ses enfants une semaine sur deux plus la moitié des vacances scolaires" : "Ça nécessite, quand les enfants sont jeunes, de pouvoir justifier auprès du juge, que le mercredi on peut s'occuper des enfants donc ça nécessite des aménagements des conditions de travail avec son employeur ou dans son travail. Aujourd'hui, c'est encore mal vu pour un certain nombre de pères, de demander des aménagements de temps de travail à son employeur pour s'occuper des enfants le mercredi."
Et pour les enfants, ce n'est pas bon de ne plus voir leur père. On a désormais des preuves. Une étude publiée il y a quelques mois par le ministère de l'Éducation nationale montre que cela peut provoquer, à terme, des difficultés sociales, relationnelles et scolaires pour ces enfants. Il y a une vraie différence pour les enfants qui vivent seuls avec l'un de leurs parents.
Le partage de résidence entre les parents évolue, mais encore trop lentement. L'égalité entre les pères et les mères met du temps à s'installer et laisse des pères sur le bas côté. Mais depuis dix ans, le nombre d'enfants qui vivent sur le modèle une semaine chez leur père, une semaine chez leur mère a tout de même doublé.